• Dr Céline Boutros : Limiter l’incidence de la neutropénie après une chimiothérapie

Céline Boutros

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 17/01/2023


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« La neutropénie survient fréquemment dans les jours suivant une cure de chimiothérapie, provoquant une baisse des défenses immunitaires.

Le médecin traitant joue un rôle clé dans la prise en charge ambulatoire du patient cancéreux, en complément de la prise en charge hospitalière », indique le Dr Céline Boutros, oncologue médicale à Gustave-Roussy (Villejuif).

 

TLM : La neutropénie provoquée par la chimiothérapie est-elle fréquente ?

Dr Céline Boutros : Elle est fréquente. La chimiothérapie, traitement anticancéreux cytotoxique, peut provoquer des effets secondaires en attaquant directement les cellules hématopoïétiques diminuant ainsi le nombre de globules rouges, de globules blancs et de plaquettes. La chute de ces trois lignées cellulaires cause une aplasie. La neutropénie correspond à la diminution du nombre de polynucléaires neutrophiles (un type de globules blancs au rôle majeur dans les défenses immunitaires) en dessous de la valeur de concentration normale qui est supérieure à 1 500 cellules/µl de sang. Si la numération est inférieure à ce seuil, le risque d’infection augmente. La sévérité de la neutropénie est classée en légère (polynucléaires neutrophiles à 1000-1500/µl), modérée (polynucléaires neutrophiles à 500- 1000/µl), et sévère (polynucléaires neutrophiles inférieurs à 500/µl). Le risque d’infection devient très élevé lorsque le taux de polynucléaires neutrophiles est inférieur à 500/µl (neutropénie sévère).

L’intensité, la sévérité et l’incidence de la neutropénie dépendent du type de chimiothérapie administrée. Certaines classes sont peu aplasiantes alors que d’autres en causent beaucoup.

 

TLM : A quel moment apparaît-elle ? Chez quels patients ?

Dr Céline Boutros : La neutropénie apparaît quelques jours après l’administration de la chimiothérapie. Les comorbidités du patient ainsi que le cumul des cycles de chimiothérapie favorisent l’apparition d’une neutropénie. En effet, un patient âgé et/ou ayant des comorbidités est plus susceptible d’avoir une aplasie qu’un patient jeune et/ou en bon état général. De même, plus le patient reçoit des cycles de chimiothérapie, plus les risques d’apparition d’une neutropénie augmentent au fil du temps. C’est notamment le cas lorsqu’un patient présente de multiples récidives tumorales nécessitant l’administration de plusieurs lignes de chimiothérapies sur le long terme.

Ce cumul de lignes de chimiothérapies affecte l’hématopoïèse et favorise l’apparition d’une neutropénie, et plus globalement d’une aplasie.

En général, la neutropénie apparaît sept à dix jours après le traitement, mais ce délai peut varier en fonction du type de chimiothérapie administrée. Le taux le plus bas atteint par les cellules sanguines est appelé nadir.

Les globules blancs (et en particulier les polynucléaires neutrophiles) atteignent leur nadir environ sept à quatorze jours après le traitement.

 

TLM : Quelle surveillance mettre en place ? Quels sont les signes d’alerte ?

Dr Céline Boutros : La surveillance est simple. La numération formule sanguine (NFS) est un facteur essentiel pour identifier et dépister une neutropénie. Elle permet d’évaluer le nombre de globules blancs et plus particulièrement de polynucléaires neutrophiles mais aussi de vérifier le chiffre d’hémoglobine et de plaquettes afin de contrôler si ces deux autres lignées cellulaires sont également impactées par la chimiothérapie. Habituellement, nous réalisons une NFS 48 heures avant la chimiothérapie afin de s’assurer que nos patients ne soient pas en neutropénie.

La surveillance est également clinique.

Nous sensibilisons les patients sous chimiothérapie au risque d’apparition d’une fièvre. Lorsque cela se produit, ils doivent immédiatement appeler leur médecin traitant ou un médecin d’urgence afin de faire une prise de sang (NFS) et démarrer des antibiotiques à large spectre sans attendre les résultats de cette NFS. En effet, la neutropénie diminue les défenses immunitaires et augmente le risque de survenue d’infections bactériennes, virales et mycosiques.

 

TLM : Comment prendre en charge une neutropénie ? Comment en réduire la durée ?

Dr Céline Boutros : Les oncologues et les hématologues ont l’habitude de prendre en charge les neutropénies. Plusieurs moyens existent. Il convient, avant tout, d’identifier les chimiothérapies à haut risque d’aplasie, et donc de neutropénie, et de prescrire systématiquement des facteurs de croissance hématopoïétiques en prophylaxie. Les facteurs de croissance se présentent sous forme d’injections administrées par voie sous-cutanée à domicile après chaque chimiothérapie. Ces facteurs de croissance stimulent la production de globules blancs et plus particulièrement de polynucléaires neutrophiles. Ils limitent ainsi la survenue et l’intensité de la neutropénie. Si la neutropénie persiste ou qu’une aplasie fébrile survient en dépit de l’administration de facteurs de croissance, les posologies de chimiothérapie sont réduites de 15 à 20%.

Dans les situations où l’aplasie fébrile est accompagnée de facteurs de gravité, par exemple à l’occasion d’une hospitalisation ou d’un passage en réanimation médicale, un arrêt ou un changement de type de chimiothérapie est recommandé.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste ?

Dr Céline Boutros : Le rôle du médecin traitant est crucial dans la prise en charge des neutropénies et en particuliers des aplasies fébriles. Lors des consultations de longues annonces, nous expliquons aux patients les modalités de la chimiothérapie, leurs mécanismes d’action et leurs effets secondaires. Nous leur indiquons qu’ils doivent prendre contact avec leur médecin traitant pour l’informer qu’ils le solliciteront plus souvent dans le cadre de la prise en charge des effets secondaires.

Le médecin traitant va non seulement prendre en charge des aplasies fébriles, mais également d’autres effets secondaires chimio-induits tels que : la mucite (inflammation des muqueuses buccales pouvant induire des ulcérations douloureuses), source potentielle de mycoses buccales ; les troubles de transit (constipation/diarrhée) et les toxicités cutanées (xérose, syndrome main-pied). De même, il doit s’assurer que les vaccinations, contre la grippe et le coronavirus, soient à jour. Pour conclure, le médecin traitant joue un rôle clé dans la prise en charge ambulatoire du patient cancéreux, en complément de la prise en charge hospitalière.

Propos recueillis

par Alexandra Van der Borgh

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