Dr Caroline de Ville : Allaiter ne doit en aucun cas être un geste douloureux !
Discipline : Pédiatrie
Date : 08/10/2024
Allaiter, un geste a priori naturel…
Pourtant nombre de femmes n’allaitent pas ou arrêtent rapidement parce qu’elles jugent la pratique douloureuse ou se sentent insuffisamment soutenues.
Un accompagnement pluridisciplinaire des mamans et des bébés est essentiel, comme l’explique le Dr Caroline de Ville, médecin généraliste et conseillère en lactation certifiée IBCLC*.
TLM : Qu’en est-il de l’allaitement en France ?
Dr Caroline de Ville : Allaiter ou non est un choix personnel. Il est essentiel que les femmes se sentent libres d’agir comme elles le souhaitent. C’est un choix personnel mais mal éclairé pour le moment : ces mamans qui décident de ne pas allaiter manquent cruellement d’informations et de soutien. Au final, ce n’est pas vraiment un choix. Ce constat posé, les atouts de l’allaitement sont indiscutables. Il renforce le lien mère/enfant, apporte au bébé tout ce dont il a besoin pour bien grandir, en s’adaptant à ses besoins. Il est protecteur contre les microbes, les allergies et contribue à prévenir l’obésité et d’autres maladies comme l’asthme ou le diabète de type 1. Autre bienfait — et non des moindres — de l’allaitement, le développement du palais et de la respiration du nez qui prévient les apnées obstructives du sommeil. Pourtant, en France, seul un bébé sur trois est encore allaité au bout de six mois.
De très nombreuses mamans témoignent de difficultés à allaiter et d’un sentiment de solitude.
TLM : Pourtant l’allaitement est pratiqué depuis des millénaires. Comment expliquez-vous ces difficultés ?
Dr Caroline de Ville : Ayant connu moi-même des difficultés d’allaitement avec mes enfants, j’ai cherché à en comprendre les causes profondes. Il y a déjà une problématique sociétale. Les femmes sont moins soutenues qu’avant, il n’y a plus l’accompagnement de toute une « tribu ». Les mamans se sentent obligées de se cacher pour allaiter en raison de la sexualisation d’un acte pourtant naturel. L’épigénétique doit aussi être prise en compte. Cela fait quatre générations que les bébés sont moins allaités, ce qui a freiné le développement des mâchoires et du palais. A la différence du biberon, s’alimenter au sein requiert des fonctions musculaires bien spécifiques et un palais bien développé à la naissance ainsi qu’une bonne occlusion maxillaire. Les dysfonctions et restrictions oro-maxillo-faciales se sont énormément développées. Les palais sont devenus hauts et étroits, les mâchoires plus petites et reculées. La nourriture industrielle, molle, ne contribue pas à les développer. La médicalisation des accouchements génère des tensions chez les bébés, réduit les taux de certaines hormones.
La mise au sein risque alors de s’avérer plus difficile.
TLM : Que peut-on faire pour faciliter l’allaitement ?
Dr Caroline de Ville : Il est essentiel de mettre en place un accompagnement pluridisciplinaire, incluant sage-femmes, médecins, puéricultrices, thérapies manuelles, orthophonistes… La réadaptation maxillo-faciale peut être initiée dès la naissance. Avoir mal en allaitant n’est pas normal, qu’il s’agisse de la première tétée ou de la millième. Je suis médecin et pourtant j’ai eu très mal au début de l’allaitement. J’avais les seins en sang, je souffrais. Je me suis par la suite beaucoup renseignée et mes allaitements suivants ont été plus sereins.
TLM : Justement, quels conseils prodiguer aux femmes qui souffrent de douleurs aux mamelons ?
Dr Caroline de Ville : Le plus important, c’est de trouver la cause des douleurs. Il peut s’agir d’une mauvaise position, de tension du bébé sur le sein… Les thérapies manuelles peuvent être d’une grande aide. Lorsque la maman ne parvient plus à allaiter, le tire-lait peut aider temporairement l’allaitement, en permettant de maintenir la lactation le temps que la prise en charge fasse son effet. Le tire-lait aide aussi les mamans qui veulent concilier reprise du travail et allaitement. L’utilisation d’un tire-lait n’est pas forcément intuitive, aussi l’accompagnement de professionnels de santé est, là encore, important.
TLM : Quels sont vos conseils pour bien choisir la téterelle ?
Dr Caroline de Ville : Leur utilisation doit être transitoire et de courte durée car cet obstacle, même fin, réduit la stimulation de la production de lait. De plus la téterelle modifie la succion du bébé au sein.
C’est important de toujours consulter et d’en parler avec une sage-femme. Il ne faut pas mettre une téterelle comme un bandage sans prendre en considération les causes des douleurs. Il faut toujours conseiller de prendre conseil auprès d’un spécialiste de l’allaitement. Et savoir que la téterelle ne peut être une solutions pérenne.
TLM : Les problématiques de frein de langue sont souvent évoquées pour justifier des allaitements compliqués. Qu’en est-il ?
Dr Caroline de Ville : Le dépistage et le traitement des freins linguaux restrictifs sont très importants car c’est un phénotype de l’apnée obstructive du sommeil. Le dépistage peut être effectué dès le plus jeune âge, voire dès la maternité.
Il est d’ailleurs une obligation dans un pays comme le Brésil. En revanche, la freinectomie ne doit surtout pas être réalisée d’emblée, de façon systématique. Là aussi, l’approche doit être pluridisciplinaire et par des professionnels compétents. Le palais d’un tout-petit est particulièrement malléable. Une prise en charge adaptée permet d’éviter, à terme, des problématiques pouvant être graves, à l’image de l’apnée obstructive du sommeil.
TLM : Après la sortie de la maternité, le médecin généraliste est souvent une personne ressource pour la maman. Considérez-vous que ces praticiens sont assez formés à l’allaitement ?
Dr Caroline de Ville : Malheureusement non. Les études de médecine ne consacrent pas un seul module à l’allaitement, alors qu’il s’agit pourtant d’un sujet essentiel, permettant au bébé de démarrer sa vie dans des conditions optimales. Mais le plus important, c’est que le médecin généraliste soit en capacité d’orienter la femme qui se tourne vers lui. Mieux vaut dire que l’on ne sait pas et orienter vers un professionnel de santé plus compétent, plutôt que de donner de mauvais conseils qui seront suivis par la maman. La formation médicale continue est aussi un atout. Il existe de nombreux moyens de se former, en présentiel ou en distanciel, à l’allaitement et à tous les aspects de la périnatalité.
Propos recueillis
par Solène Penhoat ■
* International Board Certified Lactation Consultant