• Dr CANDAS : Prévenir et soigner les déchirures cutanées

Emmanuelle CANDAS

Discipline : Dermatologie

Date : 11/07/2022


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Souvent sous-traitées car méconnues, ces plaies traumatiques touchent les très jeunes enfants et les personnes âgées.

Le Dr Emmanuelle Candas, gériatre, référente « Plaies et cicatrisation » à l’hôpital Sainte-Périne (AP-HP), Université Paris-Saclay, insiste sur l’importance de savoir les prévenir, les repérer le cas échéant, et ainsi les traiter, pour optimiser leur cicatrisation...

 

TLM : Quels types de lésions recouvrent ce que l’on appelle les « déchirures cutanées » ?

Dr Emmanuelle Candas : Il s’agit d’une plaie traumatique causée par un frottement ou une force exercée sur la peau, lesquels entraînent une dissociation des différentes couches qui la composent : entre derme et épiderme, en cas de lésion superficielle, ou entre derme et structures sous-jacentes, en cas de déchirure profonde. Plusieurs échelles existent pour définir le type de déchirure. La dernière en date, publiée en 2013 par l’ISTAP (International Skin Tear Advisory Panel), est très utilisée.

Elle classe les déchirures selon trois stades. Le premier consiste en une déchirure linéaire, sans perte de tissu. Le second correspond à une perte cutanée partielle. Au dernier stade, la perte cutanée est complète.

 

TLM : Quels sont les sujets les plus susceptibles de présenter des déchirures cutanées ?

Dr Emmanuelle Candas : Ces plaies concernent les âges extrêmes de la vie. Les nouveau-nés et tout particulièrement les prématurés, comme les très jeunes enfants sont concernés. En effet, la maturité protectrice du stratum corneum n’est atteinte que vers l’âge de trois ans. Les personnes âgées restent les plus exposées au risque de déchirure cutanées. La peau en vieillissant devient fragile.

Comme pour tout organe du corps humain, le vieillissement cutané variera d’un patient à l’autre, mais chez la majorité de nos personnes âgées, avec le temps, la peau se fragilisera...

Cette dermatoporose, ou insuffisance cutanée chronique, résulte de facteurs intrinsèques (physiologiques et génétiques) et extrinsèques (exposition au soleil, tabac, existence de maladies chroniques et traitements, notamment corticothérapie au long cours ou anticoagulants). Elle se caractérisera par une peau devenue fine, plissée, sèche, translucide, plus perméable et moins élastique. Elle sera victime de plaie au moindre choc ou traumatisme.

 

TLM : Existe-t-il des situations de vulnérabilité particulière ?

Dr Emmanuelle Candas : La dermatoporose s’inscrit plus largement dans ce contexte de polypathologie et de perte d’autonomie qui caractérise le plus souvent nos sujets âgés. L’existence d’un état de dénutrition, frein à la cicatrisation, la présence de déficits sensoriels ou cognitifs, précipitant le risque traumatique sont parmi les multiples facteurs de vulnérabilité qui majorent le risque de déchirures cutanées au grand âge.

 

TLM : Dans quel contexte surviennent ces plaies ?

Dr Emmanuelle Candas : Les déchirures surviennent lors de traumatismes mettant en jeu des forces de friction et de cisaillement. Les circonstances sont ainsi multiples.

Il peut s’agir d’un traumatisme lié à une chute, à une contusion comme à une mobilisation corporelle, pourtant attentive, lors d’un soin. La prise en charge de nos patients âgés et très dépendants impose un accompagnement dans les actes de la vie quotidienne. Autant de circonstances qui peuvent être à l’origine de ces lésions. Une prudence extrême s’impose, notamment sur l’ensemble des moyens techniques qui nous aident à les accompagner (repose-pied de fauteuil roulant, ridelles de lit...). Tout adhésif sur une peau fragile peut aussi entraîner, à son retrait, une déchirure. Enfin, bijoux, comme ongles longs et coupants, doivent être proscrits chez les professionnels, car source de traumatisme potentiel. Les zones corporelles les plus à risque chez nos sujets âgés sont donc celles exposées aux possibles traumatismes, les bras et avant-bras, la face dorsale des mains et les jambes. Chez le nourrisson, la tête, le visage, le cou, et les extrémités sont les parties du corps les plus en danger.

 

TLM : Comment traiter une déchirure cutanée ?

Dr Emmanuelle Candas : Il faut, en premier lieu, nettoyer soigneusement la lésion avec de l’eau ou du sérum physiologique et retirer de la plaie, le cas échéant, le sang et les corps étrangers. S’il existe un lambeau, il faut le repositionner rapidement, avec un doigt ganté, ou un coton-tige, pour lui donner un maximum de chances de garder sa vitalité. En cas de saignement important, on exercera une pression, au besoin avec des pansements hémostatiques. Le pansement de choix sera l’interface siliconée. Ces déchirures sont le plus souvent peu exsudatives. Si toutefois c’était le cas, placer au-dessus de l’interface siliconée, un pansement secondaire absorbant. Le maintien de ce ou ces pansements sera réalisé par des moyens non adhésifs, jersey tubulaire ou simple bandage. Le pansement primaire pourra être maintenu en place, sous surveillance, pendant plusieurs jours. Le renouvèlement du pansement secondaire permettra une surveillance quotidienne, par transparence, de la bonne évolution locale. Une alternative à l’usage d’une interface sera celle d’un hydrocellulaire.

Il ne faudra jamais oublier de s’assurer du contrôle de la douleur possiblement engendrée. Bien prise en charge, la déchirure cutanée cicatrisera en 10 à 20 jours et évitera, si l’état de santé du sujet âgé le permet, de la voir évoluer en une plaie chronique.

 

TLM : Peut-on les prévenir ?

Dr Emmanuelle Candas : La prévention est le maître-mot en matière de déchirures cutanées.

Nos patients fragiles doivent être mobilisés avec la plus grande précaution. Sécuriser l’environnement et le patient est primordial. Protéger les zones cutanées à risque par des vêtements longs ou des dispositifs couvrants d’appui s’impose comme tous les moyens déjà évoqués. L’usage de nettoyant doux et d’émollient optimise l’état cutané et la résistance à l’agression. La déchirure cutanée n’est pas une fatalité. La bonne connaissance des multiples facteurs déclenchants pouvant être à l’origine de ces déchirures comme celle de la population à risque sont primordiales pour mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires à la prévention de leur survenue.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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