• Dr Bruno Grandbastien : De la bonne utilisation des antiseptiques

Bruno Grandbastien

Discipline : Dermatologie

Date : 10/01/2024


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Les antiseptiques sont des acteurs majeurs de la lutte contre les infections, à condition de bien les utiliser.

Les explications du Dr Bruno Grandbastien, médecin dans le service des Maladies infectieuses du CHUV (Lausanne, Suisse), et membre de la Commission PCI d’Espace Compétences, commission en charge de la formation des soignants Experts en prévention des infections associées aux soins (EPIAS).

 

TLM : Dans quelles circonstances a-t-on besoin d’utiliser des produits antiseptiques cutanés ?

Dr Bruno Grandbastien : Dans deux circonstances : sur une peau saine qui va bénéficier d’une opération chirurgicale ou avant certains gestes invasifs tels que les ponctions, les injections ou la pose d’un dispositif médical, et sur une plaie.

 

TLM : Quel est l’objectif de l’asepsie ?

Dr Bruno Grandbastien : La peau est le premier système de défense de l’organisme. Lorsqu’elle est lésée, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, les microorganismes (bactéries, levures, virus) qui composent notre microbiote cutané et avec lesquels nous vivons en parfaite harmonie vont pouvoir franchir la barrière cutanée, s’infiltrer dans les couches sous-cutanées et provoquer une infection. La plaie est par ailleurs une porte d’entrée pour les microorganismes d’emblée pathogènes qui sont, par la suite, très difficiles à éliminer — comme c’est le cas du bacille de Nicolaïer ou Clostridium tetani, responsable du tétanos.

L’objectif de l’asepsie est de détruire la plupart de ces microorganismes cutanés. C’est pourquoi il est indispensable d’appliquer un antiseptique sur une plaie susceptible d’être infectée et ne pas se contenter de bien la nettoyer à l’eau savonneuse.

 

TLM : Quels produits faut-il utiliser ?

Dr Bruno Grandbastien : Il existe plusieurs familles de produits antiseptiques : les produits antiseptiques composés d’un principe actif (la povidone iodée ou la chlorhexidine) dilué dans une base alcoolique (de l’éthanol à 70 %), et les produits chlorés stabilisés — ces derniers sont très utilisés en France mais assez peu au Royaume-Uni. Les antiseptiques à base de povidone iodée en solution alcoolique sont orange, ils peuvent être utilisés pour l’asepsie de la peau, saine, et la préparation du champ opératoire ; lorsqu’ils sont jaunes, c’est qu’ils sont dilués dans une solution aqueuse ; dans ce cas, leur seule indication est l’asepsie de la peau et le traitement d’appoint des infections ; rouges, il s’agit de savons antiseptiques. Pour les muqueuses vaginales ou buccales, il existe d’autres formulations sans alcool de couleur verte et bleue. À l’exception de ces dernières, la même gamme existe avec les antiseptiques à base de chlorhexidine. On rappelle que les produits antiseptiques ne servent pas à la désinfection du matériel : pour cela, on recourt à des produits désinfectants.

 

TLM : L’application d’un antiseptique sur une plaie est-elle systématique ?

Dr Bruno Grandbastien : L’application n’est pas systématique, mais la question à se poser systématiquement c’est : « En a-t-ton besoin ? ». Le recours à un antiseptique n’a pas d’intérêt sur les plaies non infectées ; dans ce cas, un bon nettoyage à l’aide d’une solution isotonique suffit à enlever les sécrétions et à favoriser la cicatrisation. En revanche, une plaie infectée ou inflammatoire, qui ne cicatrise pas en raison d’un ulcère par exemple, doit être aseptisée pour prévenir une infection. Les trois familles de produits antiseptiques (les solutions à base de povidone iodée ou de chlorhexidine, et les produits chlorés) peuvent être utilisés, mais les plus efficaces sont les produits chlorés.

 

TLM : Ces produits antiseptiques peuvent-ils être utilisés chez tous les patients ou existe-t-il des contre-indications ?

Dr Bruno Grandbastien : L’état de santé du patient, qu’il présente des comorbidités ou qu’il ait un statut immunitaire affaibli, n’est pas une contre-indication et n’a pas d’influence sur le choix du produit. Seul l’âge est un critère déterminant : la povidone iodée ne doit ainsi pas être utilisée chez les nourrissons avant six mois car l’iode contenue dans cet antiseptique peut saturer la thyroïde et entraîner des troubles ; et tout produit antiseptique sous forme de solution alcoolique est proscrit dans les 48 premières heures de vie des grands prématurés en raison de l’immaturité de leur peau.

 

TLM : Les produits antiseptiques exposent-ils à des effets indésirables ?

Dr Bruno Grandbastien : Oui, comme tout produit efficace.

Mais ceux-ci sont limitées. Les principaux sont les allergies, notamment avec les produits à base de chlorhexidine qui peuvent entraîner des œdèmes de Quincke et des chocs anaphylactiques. Pour les produits à base alcoolique (quelle que soit la molécule antiseptique associée : povidone iodée ou chlorhexidine), les patients relatent souvent des sensations de brûlure ou de picotement au lieu d’application ; c’est dû à des lésions cutanées, même si elles sont invisibles à l’œil nu. Il faut rassurer les patients allergiques à l’iode : leur allergie n’empêche pas l’utilisation de povidone iodée. Les produits chlorés entraînent, quant à eux, très peu d’effets indésirables.

 

TLM : Existe-t-il d’autres approches pour aseptiser la peau ?

Dr Bruno Grandbastien : L’effet bactériostatique du miel présente un intérêt dans la cicatrisation des plaies chroniques, notamment chez les grands brûlés. On peut aussi recourir aux produits à base de métaux comme le nitrate d’argent. À l’hôpital, pour traiter les peaux très abîmées qui ne cicatrisent pas (escarres, plaies chroniques, greffes cutanées...), les médecins utilisent parfois une méthode non invasive : ils recouvrent la plaie d’un pansement relié à une machine exerçant une pression négative (principe de la Vaccum Assisted Closure ou V.A.C.) ; on joue dans ce cas sur l’effet physique de détersion de la plaie et de stimulation du bourgeonnement pour réactiver ou accélérer le processus de cicatrisation.

 

TLM : Une résistance aux antiseptiques est-elle apparue, de la même manière qu’il en existe une aux antibiotiques ?

Dr Bruno Grandbastien : C’est un concept qui existe et vis-à-vis duquel il faut rester attentif, mais pour l’heure il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Il convient de respecter les règles d’utilisation des produits : en cas de plaie, bien la nettoyer au préalable, respecter les concentrations préconisées et utiliser des antiseptiques à large spectre.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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