• Dr BRACONNIER : La nutrition des patients insuffisants rénaux chroniques

Antoine BRACONNIER

Discipline : Uro-Néphrologie

Date : 11/04/2022


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En France, environ 50 000 personnes souffrant d’une insuffisance rénale chronique terminale sont pris en charge en hémodialyse. Des patients souvent dénutris, donc fragilisés. Les compléments nutritionnels oraux (CNO) permettent d’apporter calories mais aussi protides et acides aminés dont l’organisme a besoin. Les explications du Dr Antoine Braconnier, néphrologue au CHU de Reims.

 

TLM : Comment s’organise la prise en charge des patients souffrant d’insuffisance rénale chronique terminale ?

Dr Antoine Braconnier : L’insuffisance rénale chronique est une maladie d’évolution silencieuse : progressivement, la fonction de filtration des reins se détériore et peut évoluer vers un stade terminal nécessitant la mise en place d’un traitement de suppléance, idéalement par transplantation rénale quand cela est possible ou par dialyse. Si cette dernière option thérapeutique est adoptée, dans 95 % des cas, les patients bénéficient, plusieurs fois par semaine, d’une hémodialyse, qui supplée les reins déficients en épurant le sang des patients.

Les personnes présentant une insuffisance rénale chronique terminale souffrent plus souvent de dénutrition que la moyenne de la population... Les toxines qui s’accumulent dans l’organisme en raison de la défaillance des reins rendent moins efficace le tube digestif, ce qui aboutit à une moins bonne assimilation de certains éléments : fer, etc. Au stade terminal de l’IRC, les patients ressentent souvent du dégoût pour les aliments, notamment ceux qui sont riches en protéines. De plus le syndrome urémique qui s’installe avec la baisse de la fonction rénale engendre une série de troubles digestifs favorisant les problèmes nutritionnels. Cette dénutrition protéino-énergétique, souvent insidieuse, constitue un risque sévère pour le patient, qui peut entraîner rapidement une détérioration de l’état général. Il convient donc d’être vigilant.

 

TLM : Quelles sont les mesures mises en œuvre pour éviter cette dénutrition ?

Dr Antoine Braconnier : Le suivi diététique fait partie intégrante du parcours de soins. Les patients hémodialysés sont accompagnés par une diététicienne qui définit avec eux un plan nutritionnel personnalisé. Lors des premières séances d’hémodialyse, dites « d’entraînement », une infirmière n’aura en charge que deux patients, contre quatre dans l’organisation classique, pour favoriser l’éducation thérapeutique, notamment sur le volet nutrition. Cependant, l’alimentation classique ne suffit généralement pas à résoudre une situation de dénutrition, surtout lorsque le patient est âgé ou qu’il présente des troubles cognitifs. C’est pourquoi il est recommandé, en plus d’une alimentation enrichie, de prescrire des compléments nutritionnels oraux aux patients hémodialysés présentant des signes de dénutrition.

 

TLM : A quoi servent ces compléments nutritionnels oraux ?

Dr Antoine Braconnier : Ces compléments sont des mélanges nutritifs complets, qui apportent beaucoup de calories, mais aussi de protides. En 2020, la Kidney Disease Outcomes Quality Initiative, entité qui fait référence dans la communauté des néphrologues, a souligné leur rôle essentiel. Pour les patients dialysés, la recommandation est de 1,0 à 1,2 g de protéines/kg/jour et de 25 à 35 kcal/kg/jour. Les compléments nutritionnels oraux, pris pendant la séance de dialyse permettraient également de compenser les pertes d’acides aminés engendrées par les séances d’épuration extrarénale. Il est primordial de favoriser la supplémentation nutritionnelle orale : ce n’est que lorsque celle-ci n’est pas possible que la supplémentation entérale, voire intraveineuse, doit être mise en œuvre.

Il existe sur le marché une multitude de compléments nutritionnels oraux.

 

TLM : Comment les prescrivez-vous ?

Dr Antoine Braconnier : La prescription des compléments nutritionnels oraux est effectuée le plus souvent par le néphrologue qui voit régulièrement le patient dialysé, plus rarement par le médecin généraliste. Il est important de ne pas être trop restrictif dans les prescriptions. Le patient, ou un de ses proches, va généralement échanger avec le pharmacien, lui indiquer quels goûts ou quelle texture il préfère.

Les gammes proposées par les laboratoires sont variées. Le patient ne doit pas hésiter à varier les plaisirs. Ainsi, une soupe enrichie peut être appréciée l’hiver, mais pas aux beaux jours. Les seules restrictions que nous émettons en tant que médecins concernent les patients diabétiques. Il est alors important que le complément nutritionnel oral ne contienne pas trop de sucre. Nous devons aussi veiller à ce que l’apport en liquides soit adapté chez ces patients parfois devenus anuriques et à ce que le taux de potassium reste maitrisé (< 5,5 mmol/l en début de séance). L’éducation thérapeutique du patient est essentielle.

Il doit comprendre que le complément ne remplace pas un repas, mais qu’il s’agit d’un apport supplémentaire. Ce n’est pas toujours évident pour des personnes qui ont perdu l’appétit.

 

TLM : Quels sont les axes d’amélioration pour mieux lutter contre la dénutrition des patients ?

Dr Antoine Braconnier : La principale clef est le dépistage précoce de la dénutrition. Le dépistage devrait être effectué au moins deux fois par an, en croisant des paramètres cliniques tels que la rapidité de la perte de poids, la mesure de la graisse corporelle et un échange avec le patient sur ses habitudes alimentaires et ses ressentis. Aujourd’hui, le diagnostic de dénutrition est encore posé trop tardivement. Le médecin généraliste, qui connaît bien les patients, a un rôle à jouer en ce sens. Par ailleurs, la complémentation nutritionnelle orale ne permet d’éviter la fonte de la masse musculaire que si elle est associée à une activité physique adaptée. Celle-ci se développe lentement en France, mais elle n’est pas encore assez systématisée, surtout lorsque l’on connaît les bienfaits de l’activité physique sur la qualité de vie des patients. Il s’agit d’un axe de travail que nous devons absolument développer pour nos patients dans les années à venir.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

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