• Dr BOHBOT : Les probiotiques en prévention de la dysbiose vaginale

Jean-Marc BOHBOT

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 11/04/2022


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La prescription de lactobacilles sous forme de probiotiques permettrait de prévenir la dysbiose vaginale et ses conséquences néfastes sur la santé des femmes, assure le Dr Jean-Marc Bohbot, infectiologue au département de Pathologie génito-urinaire de l’Institut Fournier à Paris.

 

TLM : Qu’est-ce-qu’un microbiote vaginal en bonne santé ?

Dr Jean-Marc Bohbot : Jusqu’à la ménopause, un microbiote vaginal en bonne santé se caractérise par sa faible diversité, son dynamisme et sa résilience. En d’autres termes, c’est un écosystème microbien largement dominé par les lactobacilles (notamment Lactobacillus crispatus et Lactobacillus gasseri), qui représentent 60 à 80 % des bactéries qui le composent, qui se modifie à chaque grande étape de la vie d’une femme sous l’influence d’éléments à la fois endogènes (survenue des règles, prise de contraceptifs, grossesse) et exogènes (rapports sexuels), et capable de retrouver très rapidement sa composition habituelle après une dysbiose.

 

TLM : Quel est le rôle des lactobacilles ?

Dr Jean-Marc Bohbot : Ces bactéries stimulent le système immunitaire local et forment des biofilms qui créent de véritables boucliers protecteurs au niveau de la paroi du vagin. Elles transforment le glycogène sécrété par les cellules de la muqueuse génitale en acide lactique, créant ainsi un milieu acide nécessaire au maintien du pH vaginal entre 3,5 et 4,5.

 

TLM : Et après la ménopause ?

Dr Jean-Marc Bohbot : La composition du microbiote vaginal change chez près de la moitié des femmes ménopausées sous l’influence de la baisse du taux d’œstrogènes qui survient à cette période de la vie des femmes. Néanmoins, entre 50 et 55% d’entre elles conservent un taux de lactobacilles élevé, lesquels restent parfois dominants et protègent ces femmes contre la sécheresse vaginale.

 

TLM : Quels éléments peuvent perturber le microbiote vaginal et entraîner son déséquilibre ?

Dr Jean-Marc Bohbot : Plusieurs facteurs de risque de dysbiose du microbiote vaginal ont été identifiés, tous relatifs à une mauvaise hygiène de vie. Le principal ennemi d’un microbiote vaginal en bonne santé est le tabac : il perturbe son équilibre dès qu’une femme fume quatre cigarettes par jour. L’utilisation de produits d’hygiène intime non adaptés, la pratique de douches vaginales, le manque d’exercice physique ou encore une alimentation déséquilibrée interviennent également. Mais les effets les plus délétères sont dus aux antibiotiques.

 

TLM : Quels sont les symptômes d’une dysbiose vaginale ?

Dr Jean-Marc Bohbot : Le pH vaginal reflète l’état du microbiote : un pH supérieur à 4,5 indique qu’il y a un déséquilibre. Celui-ci s’accompagne de pertes inhabituelles, parfois malodorantes, de démangeaisons ou de douleurs vulvaires. Les femmes peuvent également éprouver des douleurs lors des rapports sexuels et souffrir de sécheresse vaginale.

 

TLM : Quel est l’impact d’une dysbiose vaginale sur le plan médical ?

Dr Jean-Marc Bohbot : Il peut être plus ou moins grave. Les principales conséquences d’un déséquilibre de cet écosystème microbien sont des infections vaginales bien connues des femmes : mycose, candidose, vaginose. Bien qu’elles soient dues à Escherichia coli, les cystites peuvent aussi résulter d’une dysbiose du microbiote vaginal, étroitement lié au microbiote urinaire. Plus grave, les risques d’infections sexuellement transmissibles sont également accrus ; des études ont montré qu’une dysbiose vaginale retardait l’élimination naturelle du papillomavirus (HPV) et favorisait l’évolution des lésions au niveau du col utérin et donc, à terme, le risque de cancer du col de l’utérus. Chez les femmes enceintes, ce déséquilibre peut être responsable d’une prématurité et d’un petit poids de naissance du nouveau-né ; on sait également qu’il réduit les chances d’implantation d’un embryon dans le cadre d’une fécondation in vitro.

 

TLM : Peut-on prévenir une dysbiose vaginale ?

Dr Jean-Marc Bohbot : Avoir une bonne hygiène de vie est la première des mesures de prévention de la dysbiose vaginale. Face à une patiente sujette aux infections vaginales, le médecin doit adopter une approche globale et considérer l’ensemble des paramètres susceptibles de déséquilibrer son microbiote vaginal. On peut également, comme l’a montré une étude australienne, prévenir les dysbioses vaginales associées à la ménopause en prescrivant, à la préménopause, des cures de probiotiques associées à des œstrogènes locaux. Car, une fois la ménopause installée, rééquilibrer le microbiote vaginal est beaucoup plus compliqué. Malheureusement, l’intérêt porté au microbiote vaginal en l’absence de symptômes est encore très limité et la prévention d’une dysbiose ne fait pas partie des pratiques médicales en France... Les choses pourraient néanmoins évoluer, notamment dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation : les spécialistes s’interrogent actuellement sur l’intérêt de dépister une dysbiose vaginale chez les candidates à la FIV, qui, comme précisé plus haut, diminue les chances d’implantation de l’embryon. La question n’est toutefois pas encore tranchée car aucune étude n’a, pour l’heure, prouvé l’efficacité des probiotiques à améliorer les chances de FIV.

 

TLM : Quelle est, précisément, la place des probiotiques dans le traitement de la dysbiose vaginale ?

Dr Jean-Marc Bohbot : Elle est très importante mais, et c’est regrettable, encore peu connue des praticiens. Face à des patientes qui souffrent d’infections liées à une dysbiose vaginale, la plupart ont tendance à privilégier les antibiotiques ou les antifongiques... qui déséquilibrent fortement le microbiote et entretiennent un véritable cercle vicieux ! Certes, leur efficacité immédiate est excellente, mais, contrairement aux probiotiques, ces traitements n’empêchent pas une récidive à six mois dans la moitié des cas. Les recommandations internationales préconisent d’ailleurs désormais d’utiliser les probiotiques, seuls ou associés aux antibiotiques. Il faut compter trois mois de traitement, sous forme d’ovules (tous les quatre soirs) ou par voie orale (tous les jours), pour rééquilibrer le microbiote vaginal ; on peut également envisager des traitements séquentiels chez les femmes les plus à risque. Pour que ce traitement soit efficace, il doit répondre à plusieurs conditions : ses indications doivent être bien posées, les souches bactériennes bien sélectionnées et en quantité suffisante, et le protocole bien ciblé et suivi de manière rigoureuse.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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