• Dr BOCQUET :Diagnostic et suivi des nourrissons allergiques aux protéines de lait de vache

Alain BOCQUET

Discipline : Pédiatrie

Date : 10/01/2022


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Plus de 2 % des nourrissons français sont allergiques aux protéines de lait de vache (APLV). Comment poser le diagnostic ? Et comment prendre en charge ces petits patients ? Les réponses du Dr Alain Bocquet, pédiatre à Besançon et membre du comité de nutrition de la Société française de pédiatrie, responsable du groupe « Nutrition » de l’Association de pédiatrie ambulatoire et de son site www.mpedia.fr.

 

TLM : L’allergie aux protéines de lait de vache (APLV) est-elle fréquente ?

Dr Alain Bocquet : C’est la plus fréquente des allergies chez le bébé et aussi celle qui se manifeste le plus tôt. Certaines études avancent une prévalence comprise entre 1,9 et 4,9 %, mais si l’on tient compte de la très probable sous-estimation d’une des deux formes d’APLV qui existent, on peut penser qu’elle est plus répandue. Le risque d’allergie est plus élevé en cas d’antécédents allergiques familiaux : il est de 20 % quand un parent souffre d’une ou plusieurs allergies qu’elles soient cutanées, digestives ou respiratoires, de 43% quand les deux parents sont allergiques. Le risque d’APLV est de 33 % si un frère ou une sœur est allergique aux protéines de lait de vache (PLV).

 

TLM : Vous évoquez deux formes d’APLV...

Dr Alain Bocquet : On distingue en effet l’APLV IgE-médiée et l’APLV non IgE-médiée. La première est la plus classique, elle est immédiate et correspond à une réaction souvent violente de l’organisme qui fait intervenir les anticorps IgE, ce qui provoque toute une variété de symptômes cliniques. La deuxième, plus fréquente, déclenche l’immunité cellulaire et non humorale et ses manifestations sont retardées. Elle est moins facile à diagnostiquer, donc certainement sous-évaluée.

 

TLM : Quelles sont les manifestations d’une APLV ?

Dr Alain Bocquet : Elles peuvent être cutanées, digestives, respiratoires ou d’ordre général, mais leur intensité diffère selon la forme de l’allergie. En cas d’APLV IgE-médiée, elles sont aiguës et peuvent engager le pronostic vital ; la réaction est rapide, avec une survenue des symptômes généralement moins de deux heures après l’ingestion de lait, de produits laitiers ou d’aliments contenant du lait, mais pas au-delà de huit heures. Sur le plan cutané, l’enfant peut présenter un prurit, un érythème, une urticaire et un angiœdème ; sur le plan digestif, il peut souffrir de nausées, de vomissements violents, de douleurs abdominales, de diarrhées aiguës ou, à l’inverse, de constipation ; le tableau respiratoire peut comporter une rhinite, un bronchospasme ou une véritable crise d’asthme s’il est asthmatique ; enfin, il peut être victime de malaises, perdre connaissance, présenter une hypotension artérielle et même faire un choc anaphylactique. Les symptômes sont tout aussi variés avec une APLV non IgE-médiée, mais ils seront plus légers, chroniques et surtout ils surviennent de façon retardée, quelques heures à quelques jours après l’ingestion de lait, de produits laitiers ou d’aliments contenant du lait. Outre un prurit et/ou un érythème, l’enfant présente souvent une dermatite atopique ; il souffre fréquemment de reflux gastro-œsophagien, de douleurs abdominales, de diarrhée chronique ou de constipation, de coliques, et peut présenter une anite. La présence de sang dans les selles est un signe évocateur. Ces symptômes digestifs chroniques peuvent entraîner une cassure de la courbe de croissance. Il ne présente aucun signe respiratoire aigu mais plutôt une toux chronique. Enfin, sur le plan général, des troubles du sommeil sont fréquents ainsi qu’une anémie avec carence en fer.

 

TLM : Comment pose-t-on le diagnostic d’une APLV ?

Dr Alain Bocquet : Tout dépend de la forme de l’APLV. Si l’examen clinique oriente vers une APLV IgE-médiée, le diagnostic se fonde sur deux tests : le Prick-test, qui consiste à piquer la peau à travers une goutte de lait et à regarder si une papule apparaît 15 minutes après, et le dosage sanguin des anticorps IgE anti-lait (RAST). Le test de provocation orale est rarement réalisé en raison du risque de choc anaphylactique. En cas de suspicion d’une APLV non IgE-médiée, le Prick-test et les RAST sont négatifs, mais on peut procéder à un patch-test, qui consiste à déposer du lait dans une petite cupule collée sur la peau du nourrisson pendant 24 heures pour une lecture à 48 heures. Ce test est assez peu fiable, d’où la difficulté à poser le diagnostic de l’APLV non IgE-médiée. C’est alors la disparition des symptômes lors de l’éviction des produits contenant des PLV qui permet de le confirmer.

 

TLM : Comment prend-on en charge les enfants APLV ?

Dr Alain Bocquet : Quelle que soit la forme d’APLV, l’éviction du lait et des produits contenant du lait de vache est le principal traitement. Les laits infantiles autres que les hydrolysats contiennent des protéines de lait de vache et rarement de chèvre. Si l’allaitement maternel n’est pas envisageable, on remplace le lait infantile par des hydrolysats extensifs de protéines de lait de vache dont le principe est de fractionner les protéines en tout petits fragments par hydrolyse enzymatique et ainsi réduire fortement le nombre de sites antigéniques pour limiter leur pouvoir allergisant. Il en existe sept sur le marché français, à base de caséine hydrolysée ou de protéines solubles hydrolysées avec ou sans probiotiques, avec ou sans lactose. Environ 10% des enfants ne vont pas répondre à ces traitements car il peut persister un certain pouvoir allergisant des petits fragments protéiques résultant de l’hydrolyse : on peut alors leur prescrire des préparations à base d’acides aminés, traitement qu’il convient également de donner en première intention à ceux qui ont fait un choc anaphylactique. Ce sont des produits coûteux qu’il faut réserver aux situations pour lesquelles ils sont indiqués. Les hydrolysats de protéines de riz apparus en France en 2008 ont démontré leur grande efficacité pour prendre en charge les enfants APLV, car ils ne contiennent aucune trace de PLV et permettent une bonne croissance. Ils peuvent être utilisés en première intention et même en cas d’allergie aux hydrolysats de PLV.

 

TLM : Guérit-on d’une APLV ?

Dr Alain Bocquet : Tous les enfants souffrant d’une APLV non IgE-médiée guérissent et de façon relativement rapide, en 9 à 12 mois. Une réintroduction des aliments contenant des protéines de lait de vache est alors possible à domicile, suivant un protocole déterminé par le médecin. Mieux vaut donner à manger des fromages ou des produits à base de lait cuit, dont le pouvoir allergisant aura été sinon détruit du moins atténué par la chaleur. On vérifie néanmoins au préalable par un RAST et un Prick-test si l’APLV n’est pas passée à une forme IgE-médiée — ce qui est rare mais reste possible. La guérison n’est, en revanche, obtenue que dans 80% des cas chez les patients avec une APLV IgE-médiée, et cette guérison peut prendre jusqu’à quatre ans. La réintroduction des aliments à base de lait de vache se fait donc très progressivement et impérativement à l’hôpital, sous contrôle médical. Pour éviter tout risque de réaction grave, les parents doivent être en permanence équipés d’un antihistaminique et d’un stylo injecteur d’adrénaline.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël

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