• Dr Bloise : Myopie de l’enfant : Limiter les formes graves par une prise en charge précoce

Louisette Bloise

Discipline : Ophtalmologie

Date : 13/10/2022


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Dépister une myopie le plus tôt possible permet de proposer des dispositifs de freination adaptés. Leur intérêt est significatif pour réduire les risques de complications.

Le point avec le Dr Louisette Bloise, ophtalmologiste à Saint-Laurent-du-Var, présidente de la SFOALC (Société française des ophtalmologistes adaptateurs de lentilles de contact) et coordinatrice de l’ouvrage « Les avancées en contactologie ».

 

TLM : La myopie est en forte augmentation chez les enfants. En termes de prévalence mais aussi de gravité…

Dr Louisette Bloise : Les deux sont liés.

Il est évident que le nombre d’enfants myopes est en progression, y compris chez les très jeunes. Or, plus la myopie commence tôt et plus elle évoluera au fil des années, pour aboutir à des formes graves à l’âge adulte. Une forte myopie, supérieure à 6 dioptries (6D), est corrélée à des risques augmentés de maculopathie myopique, de décollement de rétine, de cataracte précoce, de glaucome... Ce sont ces affections qu’il faut tenter de prévenir, en prenant en charge le plus précocement possible la myopie chez l’enfant.

 

TLM : Une étude dirigée par le Pr Leveziel* offre une vision globale de cette augmentation des cas de myopie. Qu’apporte-t-elle comme enseignements ?

Dr Louisette Bloise : C’est une référence épidémiologique car elle nous éclaire sur l’évolution de la myopie en France de manière spécifique. Elle démontre que l’ensemble des classes d’âge sont touchées et que les cas graves, soit supérieurs à 6D, affectent de plus en plus d’enfants jeunes.

Ces cas sont des profils très particuliers, associés à d’autres pathologies. On parle de « myopies maladives » ou de « myopies syndromiques ».

 

TLM : Comment expliquer cette progression de la myopie chez les jeunes ?

Dr Louisette Bloise : Les facteurs sont purement environnementaux. Les enfants pratiquent de plus en plus d’activités qui sollicitent la vision de près, voire de très près, avec le nez collé sur un livre ou un écran. Dans ces moments-là, ils n’ont souvent pas de source lumineuse appropriée. Ils restent aussi beaucoup moins à l’extérieur, alors que la lumière du soleil est très bénéfique pour prévenir l’évolution de la myopie.

 

TLM : Quelles sont les recommandations en termes de dépistage ?

Dr Louisette Bloise : Il est essentiel de prévoir un examen de l’acuité visuelle avant l’entrée au CP. Un contrôle est normalement organisé à l’école, mais ce n’est pas systématique. Le pédiatre ou le généraliste a un rôle majeur à jouer, c’est lui qui voit l’enfant le plus régulièrement et dès son plus jeune âge.

Quelques signes doivent alerter et amener à envisager un dépistage.

Déjà, si l’un des parents est myope, le risque que l’enfant le soit aussi est multiplié par deux, et par six si les deux parents sont atteints. Si l’enfant a l’habitude de s’avancer pour regarder la télévision, s’il n’est sûr de lui dans ses déplacements et ses interactions sociales, il est possible qu’il ne voit pas bien. Le pédiatre ou le généraliste peut pratiquer dans un premier temps un test d’acuité visuelle. S’il n’y arrive pas pour diverses raisons, enfant trop petit ou non coopératif, il faut le diriger vers un ophtalmologiste. Le diagnostic est alors confirmé grâce à une skiascopie, un examen qui détermine de manière précise la réfraction de l’œil.

 

TLM : Diagnostiquer une myopie chez un enfant ne sert pas qu’à corriger sa vision. L’intérêt est aussi thérapeutique...

Dr Louisette Bloise : L’intérêt est même avant tout thérapeutique. Nous avons à notre disposition plusieurs solutions pour freiner la progression d’une myopie.

En traitement à proprement parler, le collyre à l’atropine, en application quotidienne, agit en dilatant la pupille et en augmentant la quantité de lumière qui arrive dans l’œil. Parmi les dispositifs de freination, les plus anciens sont les lentilles d’orthokératologie, des lentilles rigides, à porter la nuit et qui remodèlent la cornée. Les seconds sont des lentilles souples, à porter la journée cette fois. Enfin, les plus récents sont les lunettes avec système de freination. Ces deux derniers dispositifs agissent selon le même principe : ils modifient le trajet des rayons lumineux, aussi bien ceux qui arrivent au centre de la rétine qu’en périphérie.

 

TLM : Comment déterminer la solution la plus adaptée ?

Dr Louisette Bloise : Le praticien doit réfléchir au cas par cas et multiplier les questions aux parents ainsi qu’à l’enfant s’il est assez âgé. Le collyre à l’atropine peut présenter des contre-indications, notamment allergiques. À mon sens, la solution la plus appropriée pour des enfants de moins de 7 ans serait les lunettes. Audelà, cela dépend de nombreux facteurs et notamment des activités quotidiennes. Les lentilles souples requièrent quelques précautions. Comme le fait qu’il ne faut pas se baigner avec par exemple, ou qu’elles ne sont pas adaptées pour un enfant qui fait de la natation. Les lentilles rigides ne peuvent pas non plus être proposées à tous.

Elles nécessitent de réaliser une topographie afin de déterminer la forme initiale de la cornée. Si l’enfant bouge trop, l’examen n’est pas réalisable.

Sans topographie possible, il faudra se tourner vers les lentilles souples ou les lunettes.

 

TLM : Pour des enfants bénéficiant de ces dispositifs, quel est le suivi à prévoir ?

Dr Louisette Bloise : En général, un contrôle tous les six mois. À chaque consultation de suivi, le praticien mesure la longueur axiale de l’œil pour constater l’évolution de la myopie. La skiascopie n’est plus nécessaire après la consultation de dépistage, sauf en cas d’évolution suspecte. Depuis peu, des applications nous aident à estimer quelle serait l’évolution de la myopie sans système de freination. À partir de cette référence, nous pouvons apprécier objectivement l’efficacité des dispositifs mis en place. Le suivi se poursuit généralement jusqu’à 18 ans, parfois plus longtemps si l’œil continue de s’allonger. La fin du suivi est surtout dictée par l’évolution de la myopie : si elle ne s’aggrave plus depuis plusieurs années, on considère qu’elle est stabilisée.

Propos recueillis

par Violaine Badie

* Tricard D, et al. “Progression of Myopia in children and teenagers : a national wide longitudinal study”, British J of Ophthalmology. Published Online First : 12 March 2021. doi : 10.1136/bjophtalmol-2020-318256. Etude menée dans le cadre d’un partenariat entre le CHU de Poitiers et KRYS GROUP.

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