Dr Aurélia Chaume : Myopie : De la pertinence du diagnostic précoce
Discipline : Ophtalmologie
Date : 08/10/2024
Si un enfant français sur cinq est myope aujourd’hui, la clef de la prise en charge, insiste le Dr Aurélia Chaume, ophtalmologue à Laxou (Meurthe-et-Moselle), réside dans un dépistage et un diagnostic précoces — dès le plus jeune âge. D’autant que l’arsenal thérapeutique s’est renforcé ces dernières années.
TLM : En quoi peut-on considérer que la myopie est un problème de santé publique ?
Dr Aurélia Chaume : La prévalence de la myopie ne cesse d’augmenter. Si rien n’est mis en œuvre, un Français sur deux sera myope en 2050 ! Dans certains pays d’Asie, 90 % des jeunes sont déjà impactés par ce trouble visuel. La myopie complexifie les apprentissages lorsque les enfants ont des difficultés à voir le tableau. Ils peuvent aussi être moins performants dans certains sports. Ce trouble visuel entraîne des migraines et des maux de tête réguliers, une fatigue oculaire au quotidien. Surtout, la myopie peut entraîner des pathologies plus graves, potentiellement handicapantes, telles que glaucome, cataracte, décollement de rétine. Dans les situations les plus graves, les personnes peuvent devenir aveugles.
TLM : Comment expliquez-vous cette hausse de la prévalence de la myopie ?
Dr Aurélia Chaume : Dans la grande majorité des cas, la myopie est due à un œil trop long.
Cette déformation peut être due à plusieurs facteurs. L’impact de la génétique est non négligeable, puisqu’un enfant dont les deux parents sont myopes a six fois plus de probabilités de l’être également. Mais même si l’hérédité entre en ligne de compte, l’origine génétique de la myopie n’est pas entièrement déterminée. L’environnement a également un rôle majeur. Le manque d’exposition à la lumière naturelle et l’explosion du temps passé sur les écrans contribuent au développement de la myopie.
TLM : Que convient-il de mettre en place pour réduire la prévalence et la gravité de la myopie ?
Dr Aurélia Chaume : La clef de la prise en charge réside dans un diagnostic précoce. Contrairement à certaines idées reçues, il n’est pas nécessaire d’attendre que les enfants sachent parler ou lire pour effectuer un dépistage. Les ophtalmologues et aussi de plus en plus de pédiatres possèdent des réfracteurs automatiques qui mesurent la réfraction de l’œil.
L’évolution de la myopie dépend en partie de l’âge de son apparition. En effet, plus la myopie apparaît tôt, plus elle progresse vite et atteint des niveaux élevés. Une fois que la myopie s’est développée, il n’est plus possible de retrouver les capacités perdues. C’est pour ces raisons qu’il est nécessaire d’agir le plus tôt et le plus efficacement possible. En France, la Protection maternelle et infantile effectue un dépistage en moyenne section de maternelle, qui constitue une première brique. Les médecins généralistes ont aussi un rôle à jouer en incitant les parents à emmener leur enfant chez un spécialiste. Les campagnes d’affichage sont aussi incitatives. Rappelons que l’ophtalmologie est une spécialité en accès direct, ce qui facilite le parcours des patients.
TLM : Une fois le diagnostic posé, existe-t-il une prise en charge efficace pour les enfants ?
Dr Aurélia Chaume : Tout à fait. Ces dernières années, les innovations ont permis de faire un pas de géant dans la prise en charge de la myopie. C’est la raison pour laquelle le diagnostic précoce est devenu si pertinent. Pendant longtemps, les ophtalmologues pouvaient seulement prescrire des lunettes.
Aujourd’hui, les moyens de freination de la myopie sont divers et efficaces.
Leur variété permet de mettre en place un traitement personnalisé, adapté à l’âge et au profil du patient. Pendant longtemps, les ophtalmologues étaient un peu démunis, puisque leur seule prescription était le port de lunettes.
Ces vingt dernières années, la recherche et l’innovation ont complètement bouleversé la prise en charge de la myopie. Nous disposons à la fois d’approches optiques et pharmacologiques efficaces pour corriger la myopie de l’enfant.
TLM : Pouvez-vous détailler ces solutions thérapeutiques ?
Dr Aurélia Chaume : En tant qu’ophtalmologue, je prescris souvent des lentilles d’orthokératologie. Il s’agit de lentilles rigides qui se portent la nuit afin de remodeler la cornée pendant le sommeil. Un certain temps d’adaptation est nécessaire, mais ce traitement a une efficacité de 75 % pour la freination de la myopie.
Il existe également des verres et des lentilles freinateurs de myopie qui permettent aux rayons périphériques d’arriver en avant de la rétine, évitant l’allongement de l’œil. La dernière option est le collyre d’atropine microdosé à 0,01 %, avec l’administration d’une goutte par jour, une solution thérapeutique généralement combinée avec des verres ou des lentilles. Ces traitements sont efficaces.
L’un des principaux freins est malheureusement financier, le reste à charge pour les familles étant parfois élevé. Même si les traitements sont efficaces, le mieux, c’est encore d’éviter l’apparition de la myopie.
Et pour cela, la prévention est essentielle.
TLM : Quelles mesures de prévention recommandez-vous ?
Dr Aurélia Chaume : Il est important que les enfants passent du temps dehors, pour être au contact de la lumière naturelle. Il convient d’éviter d’être trop près de son écran ou de son livre, en respectant une distance d’au moins trente centimètres. Des pauses régulières permettent de reposer la vue. Le plus pertinent, c’est encore de trouver un équilibre entre les périodes consacrées aux visions de près et de loin. Ce qui impose aussi de réfléchir à nos modes de vie !
Propos recueillis
par Solène Penhoat ■
L’âge, un facteur prédominant dans la progression de la myopie La plus grande étude épidémiologique française sur la myopie a été menée dans le cadre d’un partenariat entre le CHU de Poitiers et KRYS GROUP, sous la direction du Pr Nicolas Leveziel. Cette étude, qui a inclus 136 333 enfants myopes suivis entre 2013 et 2019 confirme que l’âge est un facteur prédominant dans la progression de la myopie. Une analyse qui valide l’intérêt d’un dépistage précoce.