• Dr ARVIEUX : La médecine de ville plus qualifiée pour le suivi des patients VIH

Cédric ARVIEUX

Discipline : Infectiologie

Date : 10/10/2021


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Avec l’arrivée de la PrEP et l’évolution des traitements, le suivi des personnes vivant avec le VIH est peu à peu transféré vers la médecine de ville. Les patients, pour certains âgés de 60 ans et plus, souffrent aussi de comorbidités. Les médecins généralistes sont mieux formés que les infectiologues pour prendre en charge ces pathologies associées. C’est l’avis du Dr Cédric Arvieux, médecin infectiologue au CHU de Rennes, directeur médical du COREVIH Bretagne, sur la prise en charge de l’infection par VIH en ville.

 

TLM : Qu’est-ce que le COREVIH ?

Dr Cédric Arvieux : Ce sont des structures régionales mises en place il y a quinze ans environ pour coordonner la prise en charge des patients VIH vivant avec le VIH. Nous travaillons notamment par le biais de trois assemblées plénières par an qui réunissent, à l’échelle de la région, les patients, les associations les représentant, les acteurs du monde psychosocial, les médecins et paramédicaux... Il s’agit de faire le point et d’échanger sur l’évolution de la prise en charge, du dépistage et de la prévention concernant le VIH, sur les autres infections sexuellement transmissibles (IST) et aussi sur la santé sexuelle. Nous avons aussi des réunions plus techniques, en collaboration avec Santé publique France ou l’Inserm, pour travailler sur le recueil des données épidémiologiques.

 

TLM : Quel est l’objectif de la surveillance du VIH en ville ?

Dr Cédric Arvieux : Les personnes vivant avec le VIH ont désormais en général des traitements simples, avec deux comprimés par jour, voire un seul. La prise en charge s’est allégée avec le temps du fait de la meilleure tolérance et la meilleure efficacité des traitements antirétroviraux. Mais le suivi reste très hospitalier. Quelques médecins généralistes se sont spécialisés dans la prise en charge du VIH, en particulier dans les grandes villes, comme Paris ou Lyon. Mais cela ne se fait pas ou peu en Bretagne, ni dans d’autres régions d’ailleurs... Dans la mesure où les traitements se sont simplifiés, nous réfléchissons à la manière de travailler avec les médecins généralistes pour les patients n’ayant pas besoin de suivi hospitalier trop fréquent. Mais, pour prendre l’exemple de la Bretagne, la file active de patients VIH n’est pas très importante. Un investissement notable sera nécessaire pour former tous les généralistes, alors qu’ils n’auront en moyenne qu’une personne vivant avec le VIH dans leur patientèle.

 

TLM : Quels sont les paramètres à surveiller en ville, pour les personnes vivant avec le VIH, par les médecins généralistes ?

Dr Cédric Arvieux : L’initiation du traitement doit être hospitalière, que le patient soit symptomatique ou qu’il présente une infection asymptomatique découverte lors d’un test de dépistage. Si les médicaments antiviraux à prescrire sont en principe les mêmes dans les deux cas, les traitements sont plus complexes, par exemple, dans le cas d’un patient qui rentre dans la maladie avec une tuberculose, en raison d’interactions médicamenteuses à connaître. Mais pour les patients qui tolèrent bien le traitement, avec une charge virale indétectable depuis au moins six mois, la surveillance en ville peut être suffisante. Si le patient prend correctement son traitement, sa charge virale est presque toujours indétectable, car les médicaments sont vraiment très efficaces. Dans ce cas, après un suivi hospitalier de quelques mois, la surveillance de la charge virale en ville tous les six mois suffit, avec le renouvellement des traitements par le médecin généraliste.

 

TLM : Quelles sont les pathologies chez les patients VIH qui peuvent être gérées par le médecin généraliste ?

Dr Cédric Arvieux : Une des raisons pour lesquelles le spécialiste des maladies infectieuses doit passer la main aux médecins généralistes, c’est qu’il n’est pas toujours compétent pour gérer les comorbidités dont peuvent souffrir les patients. Les personnes vivant avec le VIH vieillissent, plus de 10% de notre file active est agée de plus de 60 ans. Notre patient le plus âgé a plus de 90 ans ! Elles souffrent donc aussi des comorbidités liées au vieillissement, diabète, maladies cardiovasculaires... Les médecins généralistes sont bien mieux formés pour prendre en charge ces pathologies que les infectiologues. Quand les premiers médicaments antiviraux efficaces sont arrivés sur le marché, les experts ont pensé que ces comorbidités étaient une conséquence des traitements. En fait, on estime maintenant que c’est surtout le virus lui-même qui est en cause. Par ailleurs, quand les patients sont bien traités pour le VIH, le risque d’événements cardiovasculaires est faible en dehors des consommateurs de tabac. Les traitements sont bien mieux tolérés, les effets secondaires de moins en moins importants. Mais les comorbidités liées au vieillissement existent pour ces patients, comme pour les autres.

 

TLM : Quand le généraliste doit-il adresser le patient au spécialiste ?

Dr Cédric Arvieux : La consultation avec un spécialiste est intéressante à un rythme espacé, en raison de l’évolution thérapeutique constante. Ainsi depuis peu, il apparaît que pour un patient avec une charge virale indétectable, une bithérapie peut être suffisante. Un traitement intermittent peut aussi être une option pour ces patients, avec des médicaments pendant la semaine et des jours « off » le week-end. Le contact avec le spécialiste tous les deux ans reste important pour informer le patient des évolutions thérapeutiques ou des nouveaux médicaments. Si le patient montre des signes d’intolérance au traitement, s’il existe un risque d’incompatibilité des antiviraux avec d’autres médicaments (comme par exemple les IPP), le changement de traitement relèvera aussi du spécialiste, ou en tous cas d’un dialogue entre généraliste et spécialiste.

 

TLM : Et quelles sont les actions de prévention que le médecin généraliste peut mener ?

Dr Cédric Arvieux : Le généraliste est un acteur central du dépistage et de la prévention du VIH. Il peut parler de santé sexuelle avec ses patients, repérer les éventuels facteurs de risque, notamment chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les travailleurs du sexe hommes ou femmes, les personnes fréquentant les milieux libertins, les migrants d’Afrique sub-saharienne... La prévention médicamenteuse du VIH en ville est disponible depuis quelques mois. La PrEP peut être prescrite par le généraliste, qui doit en parler à son patient à risque d’exposition au VIH. Il existe des formations en ligne sur la PrEP pour les généralistes. La PrEP peut se prendre en continu, à la dose d’un comprimé par jour. Le traitement peut aussi être pris à la demande, selon le schéma suivant : deux comprimés entre 2 et 24 heures avant le rapport sexuel à risque d’exposition, un comprimé le lendemain et un le surlendemain. Prise correctement, la PrEP est efficace à 100%, très bien tolérée. A l’avenir seront disponibles des PrEP basées sur une injection tous les deux mois ou encore sur un implant valable pour six mois. Et, bien sûr, toujours parler du préservatif, et de la possibilité de le prescrire avec un remboursement Assurance maladie/mutuelles.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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