• Dr ARNAUD : Infections urinaires de la femme : Du bon usage des recommandations...

Pierre ARNAUD

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 11/07/2022


  • 245_photoParole_128PE_Arnaud.jpg

Explications du Dr Pierre Arnaud, urologue à Ajaccio et membre du comité d’infectiologie de l’Association française d’urologie (CIAFU).

TLM : La clinique n’est-elle pas parfois trompeuse, s’agissant de poser le diagnostic d’infection urinaire ?

Dr Pierre Arnaud : Effectivement, on voit assez fréquemment des pyélonéphrites aiguës sans signes vésicaux, avec foyers infectieux au scanner, qui peuvent conduire à une hospitalisation. Les patientes concernées sont souvent coutumières du fait : elles ne ressentent pas les signes vésicaux qui ont abouti à une infection haute rétrograde. Les signes de la cystite aiguë — pollakiurie, brûlures mictionnelles, urgenturie — peuvent aussi tromper le médecin et n’être que des signes irritatifs pour lesquels il ne faut pas se précipiter sur une antibiothérapie. L’hyperactivité vésicale, un polype, un calcul, par exemple, sont des diagnostics différentiels à évoquer dans ce cas.

 

TLM : Peut-on se fier à la bandelette urinaire (BU), en matière d’infection urinaire ?

Dr Pierre Arnaud : Le CIAFU souligne l’intérêt de la BU : sa valeur prédictive négative ; celle-ci élimine à plus de 95% une infection urinaire haute ou basse en cas de négativité. Il faut l’utiliser avant l’ECBU car l’infection rénale rétrograde à partir de la vessie est la règle, même si les greffes bactériennes par voie sanguine sont possibles. Toutefois, en cabinet ou à domicile, une BU n’est pas toujours simple à réaliser (bandelettes périmées, difficulté d’interprétation des résultats...). La présence de leucocytes et/ou de nitrites peut représenter des signes d’infection, cependant certains germes ne produisent pas de nitrites (contrairement au colibacille) ; il existe de plus des faux positifs et négatifs pour ces deux paramètres. Restent les signes cliniques hauts très évocateurs de pyélonéphrite, comme la fièvre et surtout les douleurs à la palpation de la fosse lombaire accentuées par la percussion : on prescrira alors d’emblée un ECBU, dont le délai d’au moins 48 heures légitime, selon les recommandations, une antibiothérapie probabiliste : quinolones qui ont l’avantage d’être administrables par voie orale, ou C3G qui imposent la voie parentérale (IV ou IM) beaucoup moins pratique. Les dosages de la CRP et la NFS ne sont pas utiles lors d’une pyélonéphrite aiguë sans risque de complications car ils ne jouent pas quant à l’indication du traitement d’épreuve et n’ont pas de valeur pronostique.

 

TLM : Les premières lignes de traitement sont-elles vraiment des premières lignes ? Pour les cystites aiguës simples, peut-on patienter avant l’antibiothérapie ?

Dr Pierre Arnaud : Lorsque la BU est positive il faut, selon les recommandations, traiter et adapter éventuellement l’antibiotique en fonction de la persistance des signes, après 72 heures et en ayant réalisé au préalable un ECBU. Or l’attentisme antibiotique avec une BU positive est risqué. On voit trop de pyélonéphrites consécutives au fait que les femmes ont trop attendu, en tablant sur des remèdes adjuvants — boissons abondantes, tisanes diverses, etc. — dans l’espoir de voir passer leurs signes vésicaux sans avoir à recourir à l’antibiothérapie. Ces remèdes ne peuvent pas fonctionner durablement s’il s’agit d’une cystite bactérienne. Il faut donc déconseiller d’attendre.

 

TLM : Par quel antibiotique commencer pour une cystite, et à partir de quand est-il recommandé de recourir à un traitement de deuxième intention ?

Dr Pierre Arnaud : Les recommandations de la HAS préconisent de commencer, hors antibiogramme, par la fosfomycine en monodose. Les résistances d’Escherichia coli, germe dominant, à la fosfomycine sont faibles. Or toutes les infections urinaires féminines ne sont pas à colibacille : d’autres bactéries (staphylocoque, entérocoques) sont résistantes à la fosfomycine, d’où la possibilité de recours au pivmécillinam, après persistance des signes à 72 heures. On pourra choisir également le pivmécillinam d’emblée si l’on a des arguments qui ne favorisent pas la fosfomycine, comme par exemple une mauvaise tolérance digestive qui n’est pas rare, ou une allergie. La notion de deuxième intention vise à épargner au mieux le pivmécillinam dont le spectre d’action reste très efficace dans les infections urinaires. Quand les symptômes persistent à 72 heures, il est impératif de prescrire un ECBU, et préférable de différer l’antibiothérapie jusqu’aux résultats de l’antibiogramme, soit 48 heures d’attente supplémentaire, ce qui n’est pas toujours bien toléré, notamment en cas de douleur. Dans ce cas, on pourra prescrire des anti-inflammatoires et/ou des antispasmodiques transitoirement, y compris devant une pyélonéphrite aiguë simple qui ne répond pas rapidement au traitement d’épreuve recommandé. Le dogme qui consiste, lors d’une cystite ou d’une pyélonéphrite, à proscrire les anti-inflammatoires, au prétexte que c’est un facteur d’aggravation infectieuse, me paraît discutable. On peut aussi considérer que, si la cystite est à risque de complications chez une patiente très symptomatique, il est logique de la traiter à la nitrofurantoïne en attendant l’antibiogramme (100 mg x 3/j pendant 7 jours). Si la situation permet d’attendre les résultats de l’ECBU, l’amoxicilline est la première option.

 

TLM : Dans la cystite simple la durée de certains traitements a été réduite par la HAS...

Dr Pierre Arnaud : En effet, concernant le pivmécillinam, les recommandations de l’AFU en 2018 étaient de cinq jours mais la HAS a réduit cette durée à trois jours dans sa mise à jour de 2021. La tendance est à la réduction des durées pour lutter contre l’antibiorésistance exponentielle dans ces infections féminines très fréquentes. Au total, le prescripteur doit bien connaître les conditions dites à risque de complications, pour distinguer les différentes options antibiotiques en tenant compte des allergies, toujours à redouter. Nombre de patients affirment être « allergiques aux pénicillines », sans spécifier de quel antibiotique précis il s’agit, et sans argument autre que leur affirmation, ce qui complique le choix du prescripteur...

Propos recueillis

par le Dr Martine Perez

  • Scoop.it