• Dr Anaïs Lemoine : Prise en charge de la diarrhée chez le nourrisson et le jeune enfant

Anaïs Lemoine

Discipline : Pédiatrie

Date : 17/01/2023


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« La prise en charge repose en premier lieu sur la réhydratation par soluté de réhydratation orale (SRO). Si la diarrhée est profuse et invalidante, des traitements antidiarrhéiques peuvent être prescrits.

Certains probiotiques ont des effets cliniques démontrés en diminuant le nombre de jours de diarrhée et/ou le nombre de journées d’hospitalisation », indique le Dr Anaïs Lemoine, gastro-pédiatre à l’hôpital Armand-Trousseau (Paris).

 

TLM : Comment se définit la diarrhée chez le nourrisson et le jeune enfant ? Quelles en sont les causes ?

Dr Anaïs Lemoine : La diarrhée est une modification soit de la consistance des selles, soit de leur fréquence (≥ trois par jour). Une diarrhée est dite aiguë lorsque sa durée est inférieure à une semaine et chronique si elle dure plus de deux à trois semaines. La diarrhée aiguë du jeune enfant et du nourrisson est principalement infectieuse. Elle est notamment causée par les virus : rotavirus, norovirus, adénovirus… D’autres causes de diarrhée, plutôt chronique, associées dans ce cas à un retard de croissance pondérale peuvent provenir, par exemple, d’une allergie aux protéines du lait de vache. Une prise en charge spécifique est alors nécessaire.

 

TLM : Quels sont les risques de complications ?

Dr Anaïs Lemoine : La complication principale chez les enfants, de moins de deux mois notamment, est la déshydratation. Celle-ci peut elle-même se compliquer de choc hypovolémique ou de trouble de conscience dans les formes les plus sévères. Les critères d’hospitalisation reposent sur l’évaluation clinique de la déshydratation. Une perte de poids de moins de 10% est généralement associée à une déshydratation sévère et nécessite une réhydratation rapide en milieu hospitalier (par perfusion ou sur sonde nasogastrique).

 

TLM : Dans quelles situations une analyse bactériologique et/ou parasitologique des selles est-elle utile ?

Dr Anaïs Lemoine : La coproculture et la virologie des selles sont indiquées en cas de diarrhée glairo-sanglante, de diarrhée au retour de voyage en zones à risque et en cas de pathologies chroniques associées (maladies oncologiques, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin…). La recherche de toxines de Clostridium difficile n’est pas nécessaire avant l’âge de trois ans. La parasitologie des selles est indiquée en cas de diarrhée persistante.

 

TLM : Que préconisent les dernières recommandations du Groupe francophone d’Hépatologie-gastroentérologie et Nutrition pédiatriques concernant la prise en charge des diarrhées chez le nourrisson et chez l’enfant ?

Dr Anaïs Lemoine : La prise en charge repose en premier lieu sur la réhydratation par voie orale avec un soluté de réhydratation orale (SRO). Il peut être pris à tout âge, c’est très important. J’ai l’exemple d’une enfant de plus de deux ans présentée ce week-end aux urgences. Appelé par les parents, le Samu leur avait indiqué que le SRO n’était pas nécessaire étant donné l’âge de leur fille ! Le SRO doit être privilégié par rapport aux « solutions maison » (jus de pomme, Coca-Cola, etc.). Équilibré sur le plan osmotique, il apporte à la fois du sucre et des électrolytes permettant à l’enfant de ne pas se déshydrater et d’avoir un apport sucré facilitant sa réalimentation.

 

TLM : En adjonction au SRO, quels sont les autres traitements d’appoint recommandés ?

Dr Anaïs Lemoine : Si la diarrhée est profuse et invalidante, des traitements antidiarrhéiques de type antisécrétoire peuvent être prescrits. Dans certains cas, des traitements antiémétiques peuvent également être donnés mais leur efficacité est modeste. Des antiémétiques à l’efficacité supérieure — comme l’ondansetron— peuvent être administrés mais à l’hôpital uniquement. Il est parfois intéressant de l’utiliser aux urgences en cas d’échec de la réhydratation orale chez un enfant n’ayant pas de signe de déshydratation majeure car il facilite la réhydratation et la réalimentation par voie orale. Les probiotiques, dont le Saccharomyces boulardii CNCM I-745 (Ultra-Levure) et le Lactobacillus rhamnosus GG, ont des effets cliniques démontrés dans les diarrhées infectieuses en diminuant le nombre de jours de diarrhée et/ou le nombre de jours d’hospitalisation.

Les dernières recommandations de l’ESPGHAN (Société européenne de gastroentérologie et nutrition pédiatriques) de 2022 pour la prise en charge des gastroentérites aiguës de l’enfant rappellent que l’effet des probiotiques dépendent de la souche et de la quantité administrées. Le mode d’action des probiotiques dans la diarrhée aiguë n’est pas clairement élucidée à ce jour mais met probablement en jeu des mécanismes complexes permettant de rétablir l’homéostasie au niveau de la lumière digestive et de la muqueuse intestinale : synthèse de substances antimicrobiennes, inhibition de l’adhésion des pathogènes, modulation de la réponse immune intestinale, réparation de la perméabilité intestinale, production d’acides gras à chaîne courte, augmentation de l’absorption des électrolytes intestinaux.

 

TLM : Quel est le suivi chez le nourrisson et le jeune enfant ?

Dr Anaïs Lemoine : Le transit doit revenir à la normale et la croissance du nourrisson et de l’enfant rester stable. Certains peuvent toutefois garder une diarrhée post-infectieuse liée parfois à une intolérance au lactose transitoire. La gastroentérite peut faire survenir une atrophie villositaire partielle. Or, la lactase est une enzyme présente à la surface de ces villosités. Leur atrophie engendre une moindre activité lactasique et donc une intolérance au lactose transitoire accompagnée de diarrhée, de ballonnement et de douleur abdominale. En général, en moins d’un mois, la muqueuse se rétablit et le transit revient à la normale.

 

TLM : Et en matière de prévention ?

Dr Anaïs Lemoine : Une étude publiée dans le British Medical Journal - Global Heatlh en 2022 a rappelé l’importance de la vaccination anti-rotavirus. Cause principale d’hospitalisation pour diarrhée dans le monde, le rotavirus est associé à un taux de mortalité trois fois supérieur aux diarrhées causées par Shigella et six fois supérieur à celles induites par adénovirus ou norovirus. La vaccination a réduit de moitié les taux d’hospitalisation pour diarrhée à rotavirus dans les pays pouvant en bénéficier. La vaccination orale contre les rotavirus est d’ailleurs à nouveau recommandée en France depuis juin 2022.

Propos recueillis

par Alexandra Van der Borgh

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