• Camille Tallet : Dysménorrhée primaire et médecines naturelles

Camille Tallet

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 18/04/2023


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Plus d’une jeune fille sur deux souffre de dysménorrhée primaire dans les premiers jours de ses règles, générant douleurs et anxiété. Outre les antalgiques et les antispasmodiques, Camille Tallet, sage-femme et ostéopathe à Lyon, préconise aussi volontiers la phytothérapie voire le CBD pour soulager ces douleurs récurrentes.

 

TLM : Comment définit-on la dysménorrhée primaire ?

Camille Tallet : La dysménorrhée primaire se traduit par des douleurs qui surviennent au cours des 48 à 72 heures au maximum après le début des règles. Ces douleurs, mesurées par la patiente à partir d’une échelle d’auto-évaluation allant de 0 à 10, se situent normalement en dessous de 3. Quand la patiente évalue sa douleur à 4 ou plus, il s’agit d’une dysménorrhée primaire. Celle-ci est associée à une ménorragie, c’est-à-dire à des règles très abondantes, pendant les deux ou trois premiers jours. Ces douleurs abdomino-pelviennes s’accompagnent aussi parfois de nausées, de fatigue. Elles cessent en deux ou trois jours et les règles deviennent alors moins abondantes. La dysménorrhée dite secondaire caractérise des douleurs liées à l’endométriose, qui s’étendent, elles, sur toute la durée des règles. Elles sont aussi plus intenses, avec une cotation supérieure à 8 sur l’échelle d’auto-évaluation. L’âge moyen d’apparition des dysménorrhées secondaires et en particulier de l’endométriose est de 27 ans, avec bien sûr des disparités selon les femmes, contrairement aux dysménorrhées primaires présentes dès les premières règles.

 

TLM : Comment expliquer cette pathologie ?

Camille Tallet : Chez les patientes souffrant de dysménorrhée primaire, il existe une hyper-contractilité des fibres musculaires de l’utérus, qui a pour objectif de bien expulser le sang des règles. Cette hyper-contractilité crée une hypoxie cellulaire. Le muscle souffre, manque d’oxygène, ce qui explique l’origine des douleurs. Des phénomènes hormonaux sous-tendent d’ailleurs cette dysménorrhée. Des études ont mis en évidence chez les patientes souffrant de dysménorrhée primaire un taux sanguin plus élevé de prostaglandines, impliquées dans cette hypercontractilité utérine.

 

TLM : Quelle est la fréquence de la dysménorrhée primaire ?

Camille Tallet : Plus de la moitié des jeunes filles souffrent de dysménorrhée primaire, alors que les règles ne doivent pas être douloureuses, en tout cas pas audelà de 2 ou 3 sur l’échelle d’auto-évaluation. Elles considèrent que ces douleurs sont normales, qu’il s’agit d’une fatalité. A noter que cette dysménorrhée s’améliore en général avec l’âge et en particulier avec la grossesse. Les fibres musculaires de l’utérus se sont alors distendues et ont perdu une partie de leur potentiel d’hypercontractilité. L’apparition d’une dysménorrhée plus tard dans la vie doit faire rechercher une lésion au niveau de l’utérus, comme un fibrome, qui pourrait modifier la contractilité de l’utérus au moment des règles.

 

TLM : Existe-t-il d’autres causes ?

Camille Tallet : Lorsque des jeunes filles souffrant de dysménorrhée ont été bien prises en charge, mais qu’elles continuent à souffrir, il faut éliminer par une échographie pelvienne ou endovaginale, une malformation de l’utérus. Il faut également penser à une anomalie de l’hymen, mal perforé, qui ferait que le sang des règles ne s’écoule pas de manière optimale. Les jeunes filles résistantes à plusieurs traitements successifs doivent bénéficier d’explorations supplémentaires.

 

TLM : Quelles sont les conséquences d’une dysménorrhée non traitée ?

Camille Tallet : Les conséquences peuvent être d’ordre psychologique, comme le développement d’une anxiété vis-à-vis des règles, une crainte au moment où elles doivent arriver. Ces dysménorrhées sont associées aussi à un absentéisme scolaire ou professionnel. Comme les jeunes filles ont tendance à banaliser leur douleur, les professionnels de santé les interrogent rarement sur ce point, alors qu’ils devraient le faire. Et elles consultent d’ailleurs très peu souvent pour cela, alors qu’il existe des solutions.

 

TLM : Que proposer alors à une jeune fille qui souffre de dysménorrhée primaire ?

Camille Tallet : En premier lieu il convient, en vue d’un diagnostic précis, de savoir lui faire raconter ses symptômes. Ensuite, et pour ma part je m’y applique, expliquer les diverses stratégies thérapeutiques possibles. Et je choisis la prise en charge en fonction de ce que la jeune fille préfère.

Le simple fait de lui laisser le choix du traitement a déjà en soi un effet positif.

 

TLM : Quel est le rôle des compléments à base de plantes ?

Camille Tallet : Il existe des compléments alimentaires associant plusieurs plantes dans la même gélule, qui peuvent être prescrits aux patientes souffrant de dysménorrhée primaire, à prendre dès le début des règles, deux ou trois fois par jour. Quatre éléments ont un impact sur ces douleurs. La camomille matricaire a un effet antispasmodique et antiinflammatoire. Elle diminue aussi les saignements. Le gingembre présente des effets anti-inflammatoires, antalgiques et permet aussi de réduire les saignements menstruels. Le fenouil, en plus de l’effet antalgique et antispasmodique, produit une action anti-inflammatoire. Le magnésium est aussi doté d’effets anti-inflammatoires et myorelaxants. Les associations de ces éléments dans des compléments permettent de soulager la dysménorrhée pour un certain nombre de jeunes filles. D’autres stratégies de médecine naturelle peuvent également être envisagées.

 

TLM : Par exemple ?

Camille Tallet : Il est aussi possible de prescrire de l’homéopathie, avec certaines dilutions hormonales spécialisées contre les dysménorrhées. Il existe également des produits à base de CBD (cannabidiol) avec des effets antalgiques et anti-inflammatoires. Ces cannabinoïdes peuvent être utilisés sous forme d’huile, par voie sublinguale ou en massage local sur le ventre, sans effets secondaires. Enfin, un petit dispositif à placer sur le ventre permet, par l’envoi de très faibles décharges électriques pendant une vingtaine de minutes, d’éliminer la douleur pendant les deux heures suivantes, en stimulant notamment la production d’endo-opïoides. Si le traitement choisi par la patiente n’est pas efficace au bout de deux ou trois cycles, je propose de modifier la prise en charge, et même parfois de fonctionner avec une association de traitements. Aujourd’hui, les jeunes femmes préfèrent les thérapeutiques naturelles. Il est possible, si elles le souhaitent bien sûr, de prescrire aussi des antalgiques, éventuellement associés si nécessaire à des antispasmodiques et, si cela n’est pas suffisant, à des anti-inflammatoires, en tenant compte des contre-indications. A noter toutefois, dans les cas de prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, l’apparition possible d’effets secondaires tels que des troubles digestifs, douleurs, brûlures d’estomac, nausées, diarrhée.

Ils peuvent provoquer plus rarement un ulcère d’estomac, voire une hémorragie digestive. Des réactions allergiques peuvent également survenir.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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