Pr Serge Uzan : La recertification, son sens, son dispositif…
Discipline : Gestion professionnelle
Date : 22/04/2019
A la demande des ministres de tutelle, Agnès Buzyn (Solidarités et Santé), et Frédérique Vidal (Enseignement supérieur), le Pr Serge Uzan, doyen honoraire de la Faculté de médecine Sorbonne Université, a conduit une mission visant à définir une procédure pour l’actualisation régulière des compétences des médecins. dans son rapport, remis le 5 novembre dernier, Le Pr Uzan a présenté les modalités de cette procédure baptisée « recertification » des médecins. il détaille ici les préconisations de la mission et explique pourquoi il s’agit plus d’une certification que d’une recertification…
TLM : Qu’entendez-vous par recertification ?
Pr Serge Uzan : Il s’agit en fait d’une certification et d’une valorisation périodiques. Et non d’une recertification au sens où l’on retirerait sa certification au médecin pour la lui restituer au terme d’un examen ou d’un contrôle de connaissances. Les diplômes obtenus restent définitivement acquis, c’est la règle. En revanche, le médecin devra fournir la preuve, périodiquement et idéalement de façon continue, qu’il se donne les moyens de maintenir son niveau de connaissances et de compétences. Il faut donc parler de certification plutôt que de recertification —ce terme est d’ailleurs abandonné. Elle consiste également en une procédure permettant au médecin de mettre en avant des éléments de valorisation de son exercice professionnel, des compléments de formation, voire des évolutions de compétences. Il pourra ainsi montrer à ses patients qu’il a renforcé sa compétence et témoigner à leurs yeux qu’il est engagé dans un processus vertueux. Cette valorisation vaudra aussi vis-à-vis des tutelles : elle pourrait permettre d’obtenir une réduction substantielle des cotisations d’assurance, constituer un titre opposable en cas de problème médico-légal, voire déboucher sur une valorisation financière, qu’il reviendrait éventuellement aux syndicats de préconiser et d’obtenir.
TLM : Votre rapport stipule qu’il y aura des critères d’évaluation…
Pr Serge Uzan : Ces critères seront au nombre de cinq. • S’être engagé dans un parcours de développement professionnel continu (DPC) ou dans toute formation continue accréditée. • Le maintien d’un exercice professionnel : nul ne saurait être certifié dans une discipline qu’il n’exerce plus. • Se préoccuper de la relation médecin/patient en participant à des groupes de réflexion sur cette question. • Apporter la preuve que l’on prend soin de sa santé et de sa qualité de vie : il ne s’agit pas ici de fournir un certificat médical, mais plutôt de démontrer, en répondant à des auto-questionnaires, qu’on connaît les recommandations en ce domaine et que l’on se protège du risque de burn-out. • L’absence de signaux négatifs, de condamnation par exemple, etc. A cela s’ajoute un sixième critère, cette fois non obligatoire, optionnel et ouvert, et qui inclut toute activité susceptible de valoriser le parcours du médecin : enseignement, encadrement, responsabilités professionnelles, participation à des travaux de recherche, etc.
TLM : Qui définira les contenus de ces critères ?
Pr Serge Uzan : Les Conseils nationaux professionnels (CNP) de chaque spécialité et le Collège de la médecine générale pour celle de médecine générale. Il incombera aux CNP de définir, pour chaque spécialité, les contenus des critères spécifiques nécessaires et optionnels, ainsi que les éléments de valorisation. Il y aura néanmoins une partie commune à toutes les spécialités qui portera sur la santé publique. Je souligne que ces CNP seront composés de médecins : ce seront donc des professionnels qui définiront pour leurs pairs les contenus de la certification.
TLM : De quelle façon les associations locales pourront-elles intégrer ce dispositif ?
Pr Serge Uzan : Notre rapport préconise de labelliser des formations plutôt que des organismes. Il reste que la décision appartiendra au CNP, qui labellisera telle ou telle formation, DPC ou autre : congrès, session d’un groupe de pairs, réunion de concertation pluridisciplinaire, DU ou DIU, soirée de tel organisme, participation à tel stage, etc.
TLM : Dans le rapport il est indiqué que la procédure repose sur 15 à 30 jours par an de formation, est-ce réaliste ?
Pr Serge Uzan : Nous ne visons certes pas à vider les cabinets. Ce nombre de jours n’a pas de caractère obligatoire, il ne s’agit que d’un ordre d’idée qui sera adapté par chaque CNP. En outre, dans le nombre de jours entrent deux types de formation : d’une part les présentielles —mettons 3 à 4 jours par an—, d’autre part les autres formes, qui seront traduites en équivalents-jour. Le CNP pourra, par exemple, statuer que la participation à un cursus annuel d’e-learning ou à une démarche qualité par évaluation des pratiques professionnelles est l’équivalent de tant de jours de formation présentielle. Chaque CNP aura la haute main sur le nombre de jours, le contenu et les modalités de la certification des professionnels concernés. C’est en laissant cette latitude d’application que nous avons obtenu une quasi-unanimité de soutien autour de ce rapport, et de la part de toutes les structures représentatives. Ce qui au départ apparaissait comme une gageure !
TLM : Qu’en sera-t-il des médecins n’ayant pas obtenu leur certification ?
Pr Serge Uzan : L’engagement dans la démarche de certification sera vérifié tous les six ans et débouchera sur la délivrance d’une attestation de certification par un Conseil national de la certification et de la valorisation (CNCV). Le médecin adressera cette attestation à l’Ordre lequel la publiera sur son site. En cas de défaillance, le CNCV, au bout de deux à trois ans, le signalera au médecin. Si un médecin refuse de s’engager dans la démarche de certification, une attestation de non certification sera adressée à son conseil de l’Ordre auquel il incombera de prendre la décision nécessaire, y compris de mettre des conditions à la poursuite de son exercice ! À la question de savoir si chacun obtiendra son attestation, même sans rien faire, la réponse est non ! Il faut au moins participer de façon loyale à la procédure.
TLM : Par le passé et concernant l’obligation de formation continue, le Conseil national de l’ordre a souvent déclaré ne pas vouloir appliquer de sanction…
Pr Serge Uzan : C’est qu’il n’y avait pas d’évaluation. Par ailleurs, la doctrine de l’Ordre a évolué en la matière. Il accorde son soutien plein et entier à la procédure, d’autant qu’il a été le premier, en 2013, à proposer une recertification. J’ai donc une totale confiance en l’Ordre : il saura assumer ses responsabilités en cas de non certification.
TLM : Il est prévu que le médecin dispose d’un espace numérique personnel pour savoir où il en est…
Pr Serge Uzan : Ce sera son tableau de bord. Tout au long des six ans de son parcours de certification les DPC abonderont cet espace numérique personnel, tandis que les autres formations labellisées par le CNP, les nécessaires et les optionnelles, seront intégrées par le médecin. Celui-ci pourra ainsi vérifier à tout moment s’il est à jour, en retard ou en avance sur son programme. S’il est en retard, au bout de deux à trois ans une aide lui sera proposée par son CNP, son syndicat ou l’Ordre. Pour aider le médecin à gérer son espace personnel un tutoriel sera mis à sa disposition à titre confraternel, anonyme et gratuit. L’espace de valorisation sera progressivement ouvert au public, sans être considéré comme de la publicité. Les patients auront accès au résultat de la certification mais non à ses modalités. La nature des formations, les démarches, leur contenu ne seront accessibles qu’au médecin concerné. La sécurisation des données est capitale pour nous, elle ne sera pas confiée à une entreprise privée mais à une structure d’État.
TLM : Qui décidera de la mise en œuvre et des délais ?
Pr Serge Uzan : Les ministres de tutelle (Santé et Universités) en décideront. La date de 2021 formulée dans notre rapport laisse aux pouvoirs publics largement le temps de la mise en place réglementaire.
TLM : Comment le dispositif sera-t-il financé ?
Pr Serge Uzan : La certification et la valorisation auront un coût de fonctionnement qu’il appartiendra aux tutelles de financer puisqu’il s’agit d’une action de santé publique visant à améliorer la qualité des soins. Si l’État ne fait rien, rien ne se fera. En 1998 il y a eu une première proposition de recertification qui est restée lettre morte et la même année nous gagnions la coupe de monde de football ; en 2018 nous l’avons gagnée à nouveau, j’espère donc que la victoire de la certification sera cette fois au rendez-vous…
TLM : Ce dispositif ne sera pas obligatoire pour tous les médecins, pour quelle raison ?
Pr Serge Uzan : Il le sera pour tous les médecins diplômés au terme du 3e cycle rénové des études médicales, soit à partir de 2021. La réforme du 3e cycle des études médicales a en effet instauré une diplomation et une certification basées sur l’acquisition et l’évaluation des compétences. L’obligation ne concerne donc pas les médecins actuellement en exercice. Cela dit, les médecins non assujettis mais souhaitant intégrer ce dispositif pourront le faire. Un test simple a été conçu à leur intention qui leur permettra de savoir s’ils sont susceptibles d’être certifiés. Dans l’immense majorité des cas la réponse, je n’en doute pas, sera positive, il leur suffira alors de cliquer pour être certifiés. Si bien que dans dix ans, c’est notre conviction, tous les médecins seront certifiés, soit par obligation soit par choix.
Propos recueillis par
Bernard Maruani ■