• Guillaume de Durat : « LA FRANCE OCCUPE EN EUROPE LA TRISTE 20E PLACE… »

Comment la fracture numérique nuit à l’accès aux soins en France…

Discipline : Divers

Date : 09/07/2021


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Mise en lumière par le télétravail et l’école à distance, la fragilité de notre couverture réseau creuse la fracture numérique dans nos territoires, dénonce Guillaume de Durat, chargé de cours en Droit et Santé, Ethique et Santé, président-fondateur des Universités d’été des déserts médicaux et numériques, président du groupe de travail « Fractures numériques » du Conseil du numérique en Santé (CNS)

 

TLM : En quels termes se pose aujourd’hui le problème des déserts médicaux ?

Guillaume de Durat : Le nombre de Français touchés par ce problème est de 4 à 7 millions1. Sont concernés les territoires ruraux, les banlieues des grandes villes, mais aussi certains centres-villes où le nombre de médecins décroît sans cesse, et où les horaires de consultation s’amenuisent tandis que la hauteur des loyers fait obstacle à l’installation. Et ce phénomène n’est pas tant lié au numerus clausus -il n’y aura jamais eu autant de médecins en France- qu’à leur mauvaise répartition dans le territoire. Depuis une trentaine d’années les gouvernements successifs n’ont pas anticipé cette évolution. Ils ont diminué l’accès aux services publics dans certains territoires, sans tenir compte que ceux-ci devenaient moins incitatifs pour les jeunes médecins. Il n’y a pas de mesures suffisantes pour y favoriser l’installation de jeunes professionnels. A cela s’ajoute la fracture numérique dont pâtissent nombre de territoires.

 

TLM : Qu’appelez-vous fracture numérique ?

Guillaume de Durat : La France occupe en Europe la triste 20e place dans l’accès au numérique. Encore aujourd’hui 12 millions de Français disposent d’un accès Internet inexistant ou insuffisant si on retient le niveau de qualité retenu par le Défenseur des Droits. A l’heure de la 5G, nombre de zones ne captent pas la 3G, et parfois pas même un quelconque signal. Et ce n’est pas forcément affaire de génération : des personnes âgées n’ont aucun mal à utiliser une tablette tandis que de jeunes professionnels de santé rédigent encore à la main leurs ordonnances !

 

TLM : Quelles causes voyez-vous à ce phénomène ?

Guillaume de Durat : Les opérateurs assurent que, conformément à leur engagement contractuel, ils couvrent 98% du territoire. En réalité, il existe encore de nombreuses zones grises ou blanches. La crise sanitaire avec le recours au télétravail, à l’école ou l’université à distance a fait prendre conscience d’un réseau aléatoire ou fragile. L’une des raisons en est sans doute que les départements et les communes, qui négocient directement avec les grands opérateurs, ne sont pas toujours armés pour en obtenir l'assurance d'un déploiement numérique correct. Les investissements sont-ils à la hauteur ? On a reparlé de l’« obligation (de résultat) de service public » d’un opérateur il y a peu à propos des numéros d’urgence. A cet égard il faut souligner que l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) n’a pas de pouvoir de coercition à l’encontre des opérateurs dont la fiabilité des déclarations a été remise cause par des associations. De leur côté, les éditeurs de logiciels ne jouent pas toujours le jeu : trop de médecins sont équipés de logiciels qu’ils n’utilisent pas pleinement car trop complexes ou les mises à jour n’ont pas été faites (on pense notamment au DMP…). La fracture numérique est aussi ailleurs : les patients ne sont pas toujours dotés des équipements leur permettant d’accéder aux services numériques. En outre, nombre de patients et de professionnels souffrent d’un déficit de formation aux outils numériques.

 

TLM : Quelle est l’incidence sanitaire de cette fracture numérique ?

Guillaume de Durat : De nombreuses solutions fort utiles et mises en œuvre dans d’autres pays —c’est le cas de l’Estonie pour rester en Europe— ne peuvent l'être chez nous, du fait de notre retard numérique. Dans les zones mal couvertes, les collectivités n’ont pas les moyens techniques d’installer des cabines de télémédecine, des outils de santé connectée de surveillance (HAD, par exemple) ou de prévention. A cela s’ajoute que les jeunes médecins sont susceptibles, à juste titre, d’avoir quelques réticences à s’installer dans une zone ne leur donnant pas le moyen de communiquer sur une plateforme avec des confrères ou d’autres professionnels de santé, de consulter le DMP de leurs patients, de participer à des formations en ligne ou d’exercer en télémédecine (sans parler des réseaux sociaux, des loisirs ou de la culture…). La population de ces zones peut avoir des difficultés à accéder à l’information médicale disponible sur Internet quand les pages sont trop lourdes, à bénéficier du DMP, de visioconsultations ou à recevoir des SMS....

 

TLM : Que préconisez-vous pour arriver à une couverture numérique efficace homogène ?

Guillaume de Durat : L’Arcep et les pouvoirs publics devraient inciter les opérateurs à élargir leur couverture. Mais surtout, il manque, à mon sens, une politique nationale globale, car ce à quoi nous assistons, c’est à une concurrence entre territoires aux dépens des collectivités les moins dotées financièrement. Les différents ministères devraient, en matière de numérique, mieux coordonner leur action : si Bercy met en place des outils numériques faciles d’accès —on pense à la déclaration de revenus en ligne—, pourquoi d’autres ministères, notamment celui de la santé, connaîtraient plus de difficultés ? J’ai parfois l’impression que chacun travaille de son côté… Pour autant le numérique est un formidable moyen dont il ne faut pas se passer. Mais il faut évidemment également travailler sur l’inclusion numérique en mettant en place notamment des médiateurs numériques en santé dont le rôle serait d’aider les patients et les professionnels à savoir mieux se servir des outils. C’est afin d’amener les pouvoirs publics et les opérateurs à agir sur ces différents leviers que nous avons, patients, élus, professionnels de santé et professionnels impliqués dans le numérique, décidé de créer en 2017 les Universités d’été des déserts médicaux et numériques.

 

TLM : Comment les Universités d’été des déserts médicaux et numériques entendent-elles agir pour réduire la fracture numérique ?

Guillaume de Durat : Nous avons commencé surtout à la manière des lanceurs d'alerte. Maintenant il s'agit de déterminer ce qui, dans le monde numérique, peut être utile aux médecins, aux patients et améliorer le parcours de soins, et de le faire savoir. Les pouvoirs publics ne peuvent pas tout faire et encore moins contraindre les principaux opérateurs. C’est justement pour cela que nous avons décidé de réunir des acteurs qui, d’habitude, ne se parlent pas toujours : médecins, associations de patients, tutelles, élus locaux, opérateurs numériques, etc. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues. Il faut lutter et trouver, tous ensemble, des solutions concrètes et surtout rapides à la double peine que constituent les déserts médicaux et numériques.

Propos recueillis

par Bernard Maruani

1 Fourchette basse chiffres de la DREES, fourchette haute chiffres de la Mutualité et de l’AMF

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