• F. Mathon : IL FAUT INTÉGRER LES DONNÉES DU PARCOURS DE SOIN AUX PROJETS DE RECHERCHE...

Faire converger innovation numérique et besoins de santé

Discipline : Santé numérique

Date : 11/07/2022


  • 17_pictureEntretien_128Entretien_Mouthon.jpg

Normalien, ancien responsable d’une équipe de recherche au CEA sur les maladies à prion, président de France Biotech* et PDG-cofondateur de Theranexus, startup biotech dans le domaine des maladies du cerveau, Franck Mouthon relève qu’en france l’innovation est souvent tractée par les technologies et non par les besoins de santé. ses préconisations pour inverser les facteurs de l’équation...

 

TLM : Le développement de l’innovation du numérique en santé va-t-il dans le sens des besoins de notre système de santé ?

Franck Mouthon : Force est de constater qu’aujourd’hui l’innovation est souvent tractée par les technologies plutôt que par les besoins en santé, ce qui ne permet pas d’identifier ces derniers et d’y répondre. Ainsi, par exemple, bien que la santé mentale soit la première ligne des dépenses de santé, elle est peu dotée en termes d’innovation. Il convient donc d’adapter la recherche technologique aux besoins de santé et que l’innovation soit tractée par eux plutôt que par une technologie hors sol. Dans l’avenir, il faudrait intégrer les données du parcours de soin aux projets de recherche, ce qui permettrait de minorer les risques d’inefficacité et d’inadéquation ainsi que les problèmes liés à la mise en œuvre des solutions proposées. Et c’est là d’ailleurs que réside tout l’enjeu de l’association France Biotech : faire en sorte qu’on ne reste plus dans des silos technologiques, mais de cibler les innovations à telle ou telle étape défectueuse du parcours de soin. A cet égard, il est important que les différentes disciplines sachent dialoguer et se concerter entre elles, ce à quoi œuvre également France Biotech.

 

TLM : En quoi le numérique est-il susceptible d’impacter notre système de santé ?

Michèle Lenoir-Salfati : Aujourd’hui notre système de santé souffre. Les soignants arrivent à saturation d’activité et manquent de moyens. Nous n’avons plus suffisamment de médecins, d’infirmières, etc. Le numérique offre ici des solutions, comme l’a montré l’extraordinaire développement de la téléconsultation, dès le début de la crise sanitaire. Il en va de même au plan organisationnel : la prise en charge peut s’avérer inégale d’un territoire à l’autre, or en recourant aux données de santé il est possible de l’uniformiser, par le haut. Les algorithmes ouvrent la possibilité d’orienter le bon patient vers le bon médecin, ce qui permet de réduire l’errance diagnostique et thérapeutique, mais aussi, par exemple, de soulager la saturation des urgences, ou encore d’envisager à l’échelle d’une population les innovations tant attendues en matière de prévention. J’ajoute que ces outils peuvent contribuer à la dé-stigmatisation d’un certain nombre de maladies et par là aider le patient à se rapprocher du système de santé duquel il risque de s’éloigner à l’annonce de sa maladie. C’est le cas de certaines affections psychiatriques : une appli, simplement téléchargée sur le téléphone, permet au patient de mieux connaître sa pathologie et, ainsi, de prendre conscience que c’est une autre maladie à prendre en charge et pas une honte.

 

TLM : Le numérique est appelé à transformer le métier de soignant...

Michèle Lenoir-Salfati : A n’en pas douter. Le métier de soignant évolue, et plus encore demain. Des algorithmes sont d’ores et déjà plus exacts dans l’orientation diagnostique que les professionnels les plus chevronnés. C’est ce qui est déjà avéré, par exemple, dans le diagnostic dermatologique et l’imagerie, où le numérique s’avère plus performant que l’être humain. Il faut aussi s’attendre à une utilisation accrue tant des robots chirurgicaux, de plus en plus précis que des jumeaux numériques qui sécuriseront les interventions, en les simulant en amont et en définissant, par là, les bons gestes.

Il est clair que ces solutions numériques n’ont de sens que parce qu’elles aident le médecin dans la prise en charge du patient, aux plans diagnostique, thérapeutique, de son orientation et de son suivi. Mais quelle que soit la reformulation que le numérique opèrera du métier de soignant, une dimension essentielle demeurera, à savoir le lien relationnel instauré avec le patient. Ce lien va sans doute évoluer, se redéfinir mais restera capital dans la prise en charge. Le médecin devenu, grâce aux outils numériques, bien plus efficace face à un patient correctement orienté, sera en mesure d’approfondir ce lien relationnel.

 

TLM : Mais ces outils, devenus par trop intrusifs, ne mettent-ils pas en péril cette relation, garantie justement par le secret médical ?

Michèle Lenoir-Salfati : Il est vrai que ces dispositifs numériques qui en passent par l’enregistrement de vos faits et gestes, de vos comportements, du son de votre voix, de la forme de votre visage, de votre sourire, etc. peuvent être extrêmement intrusifs, et exposer à des abus. Ces dérives possibles méritent toute notre vigilance. Et c’est là un autre axe d’action de France Biotech : nous veillons à ce que les entreprises du secteur du numérique en santé y soient sensibilisées pour éviter qu’il y ait un mésusage des informations que nous captons et collectons. C’est dire que confiance et transparence doivent aller de pair. Les innovateurs et ceux qui font de la recherche doivent créer les conditions de la confiance pour que tous maîtrisent l’utilisation qui est faite des données.

 

TLM : Comment instaurer la confiance chez le médecin face à des algorithmes qui lui sont souvent impénétrables ?

Michèle Lenoir-Salfati : Certes les algorithmes peuvent produire un « effet boîte noire ». Il va donc falloir acculturer les médecins au fonctionnement de ladite boîte. Et il n’y a là rien d’insurmontable : on peut utiliser des simulations simples pour l’expliquer. Mais, surtout, il faudrait enseigner cette discipline lors de la formation initiale, que le futur médecin comprenne les enjeux qui sous-tendent l’innovation numérique, comment elle est élaborée, et comment on s’en sert. Il s’agirait d’une acculturation croisée avec la discipline du futur professionnel — chirurgie, cardiologie, neurologie, etc. Cette formation pourrait s’étendre durant deux trimestres, avec des stages dans des entreprises du secteur du numérique en santé, afin de voir comment on y réfléchit la data et la prise en charge. Il faut que nous apprenions à travailler tous collectivement sur cette question de façon à ce que chacun en appréhende les avantages et les limites.

Propos recueillis

par Bernard Maruani

* Association loi 1901, France Biotech regroupe les principaux entrepreneurs innovants de la HealthTech ; elle a pour mission d'accompagner le développement de cette industrie en France.

  • Scoop.it