Denise Silber : L'E-Santé catapultée par la Covid
Discipline : Vie professionnelle
Date : 10/01/2021
Pionnière de l’e-santé ayant plusieurs start-up à son actif et leader d’opinion sur les réseaux sociaux, Denise Silber vient de lancer le site bilingue VRforHealth.com qui présente le volet thérapeutique de la réalité virtuelle. Auteure, en 2020, du livre blanc «Le praticien connecté», Denise Silber est fondatrice de Basil Strategies, consultants en communication
TLM : Dans quelle mesure l’épidémie Covid a-t-elle contribué a faire évoluer l’e-santé en France?
Denise Silber : Jusque-là nous avions le sentiment d’assister, chaque janvier, à une même pièce de théâtre où les personnages affirmaient que l’année qui commençait allait être celle de l’e-santé, pour le répéter un an après… Dans ce scénario, l’offre des start-up de la FrenchTech devenait de plus en plus riche, tandis que les professionnels de la Santé se disaient peu préparés à la prise en main des outils numériques et ne voyaient pas comment les intégrer à leur pratique quotidienne. L’épidémie Covid aura mis fin à cette pièce. L’explosion de la téléconsultation a été le signe le plus spectaculaire. Son remboursement a décuplé en quelques semaines l’offre en direction des praticiens, et ceux-ci s’en sont rapidement saisis. Un nouvel horizon s’est ouvert au monde de l’e-santé. Au-delà de la simple téléconsultation ponctuelle, il y a un intérêt accru pour le suivi des patients atteints de maladies chroniques. Les établissements hospitaliers recherchent des solutions visant à améliorer le suivi des patients au sortir de l’hôpital, en liaison avec les praticiens de ville et le patient lui-même. Un exemple est l’application Moovcare dont le récent remboursement, aboutissement de neuf ans d’efforts, permet aux spécialistes du cancer du poumon d’être alertés plus précocement des symptômes d’anomalie, grâce à un questionnaire hebdomadaire renseigné en ligne par le patient. Autre illustration, l’institut Curie, qui pour éviter qu’en période Covid les patients immunodéprimés n’aient à faire la queue pour une consultation présentielle, a accéléré la mise en place de la téléconsultation. Les centres de cancérologie œuvrent pour un rapprochement de leurs dossiers et une meilleure communication avec la ville.
Quels sont les autres avancées numériques que l’épidémie actuelle a permis de promouvoir ?
Je retiendrai, entre autres, une salle équipée de 60 appareils 3D dont s’est dotée l’Assistance publique pour faire face à l’épidémie. Ces appareils ont travaillé jour et nuit pour produire ce qu’il manquait en cette situation d’urgence —systèmes d’ouverture de portes sans contact, masques, dispositifs permettant d’utiliser un respirateur pour plusieurs patients à la fois. Et nous ne sommes là qu’aux débuts de la 3D puisque cette technologie est en mesure de produire des organes ! De nouvelles applications dédiées à la Covid ont été téléchargées par des millions. Sur un autre plan on a pu observer nombre d’hospitaliers contrecarrant sur les réseaux sociaux la désinformation qui y circulait à propos de l’épidémie. WhatsApp a permis aux praticiens du monde entier d’échanger en temps réel. Tout ce qui a été réalisé en un temps record —tests, vaccins, etc.— n’aurait pu l’être sans la possibilité d’avoir des échanges de qualité entre professionnels.
Quels sont les autres développements d’avenir dans l’e-santé ?
L’intelligence artificielle intervient de plus en plus. C’est présent dans la série d’algorithmes du pancréas artificiel qui lui permet de déterminer avec précision l’état de la glycémie et d’adapter en conséquence le dosage et le moment précis de l’administration. A cet égard signalons que cette année la Haute Autorité de santé a ouvert la voie au remboursement de l’application Diabeloop, développée par une start-up française qui permet la délivrance d’insuline en boucle. Parmi les développements d’avenir j’évoquerais les technologies immersives comme la réalité virtuelle thérapeutique, actuellement proposée dans plusieurs hôpitaux en France, dans la douleur, l’anxiété et la réhabilitation. De nombreux psychologues pratiquent les thérapies par exposition à la réalité virtuelle. Certains obstétriciens en Europe proposent une sédation digitale dans les dernières heures de l’accouchement. La patiente qui porte un casque de réalité virtuelle aura l’impression d’un temps accéléré, et l’ensemble peut éviter l’épidurale. En outre, l’amélioration des télécommunications favorise l’utilisation de données de haut volume pour reproduire virtuellement un univers de plus en plus riche. La 5G facilitera les usages de la réalité virtuelle.
La France est-elle armée pour l’ensemble de ces évolutions ?
Oui et non. Et les problèmes ne sont pas forcément spécifiques à la France. Le premier problème est la complexité et le délai de la validation des outils. Alors qu’une molécule n’évolue pas, le temps périme rapidement les outils numériques et nos processus ne sont pas adaptés. Le deuxième problème est d’ordre financier, et il n’est pas spécifique à l’e-santé. L’Europe finance les start-up avec des capitaux risque à hauteur de 10 % de l’investissement américain. Bien que la BPI soit un des principaux investisseurs en Europe, elle ne peut évidemment compenser à elle seule le niveau de l’investissement européen. Peut-on remplacer la Silicon Valley et ses nombreux acteurs par une économie davantage impulsée par l’Etat ? Indépendamment de cet aspect structurel, nous avançons. J’ai pu m’entretenir avec Dominique Pon, le stratège d’une nouvelle organisation du digital en santé en France et qui propose divers volets structurants. Par exemple la mise en place d’un identifiant national en santé, l’INS, l’un des socles de Ma Santé 2022, fera qu’on parlera toujours du même patient. L’Espace numérique de santé sera un lieu où les fournisseurs de solutions pourront être répertoriés, si bien que praticiens et patients pourront s’en servir. Le DMP fera partie de cet espace. Le patient pourra le gérer, ce qui favorisera un échange numérique sécurisé entre praticiens et patients. On peut être plus optimiste qu’il y a un an quant à l’intégration de la santé numérique.
Propos recueillis par Bernard Maruani