• Eric Bouchard : E-Santé, le médecin gardien de l’éthique

  • Discipline :
  • Informatique, NTIC, Santé connectée
  • Auteur :
  • Alexandre Lesvèque
  • Date :
  • 26/07/2017

La 3e édition de Cybermed, forum consacré à la cybermédecine, se tiendra le 23 septembre prochain, comme chaque année à Antibes. Trois thèmes phares cette année : la robotique, l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle, avec comme entrée en matière une matinée consacrée aux enjeux éthiques de la e-santé. Entretien avec le Dr Eric Bouchard, président du comité d’organisation

 

TLM : Comment définiriez-vous Cybermed ?

Dr Eric Bouchard : Nous sommes partis du constat que l’exercice des professionnels de santé, libéraux ou salariés, allait muter avec l’avènement de la e-santé. Nous sommes à l’aube d’une véritable révolution. Cybermed se donne donc comme objectifs de faire le point chaque année sur la e-santé, sur ses évolutions et ses grandes tendances ainsi que sur les problématiques auxquelles elle nous confronte. La première édition a été consacrée aux objets connectés —ils sont déjà à la disposition des patients, intégrés à leur vie, sans l’être vraiment dans l’exercice médical. La deuxième édition portait sur la robotisation, et en particulier sur les expériences menées à l’étranger.

 

TLM : En quels termes posez-vous la question éthique en matière de e-santé ?

Dr Eric Bouchard : Prenons le cas de l’intelligence artificielle, l’un des thèmes clefs de ce forum. L’intelligence artificielle s’introduit dans l’exercice médical, et demain bien plus, sans que les médecins s’en rendent véritablement compte. Pour avoir une idée de ce qui nous attend, il faut savoir qu’un supercalculateur comme «Dr Watson» absorbe tous les jours 10 à 12 000 pages de congrès et d’informations dans tous les domaines de la santé. Couplé au big data, il surclasse toutes nos capacités d’acquisition et d’apprentissage. Le grand champ de réflexion que nous ouvrirons cette année, c’est de savoir comment se positionner par rapport à ces systèmes automatisés, et où se situe la place du médecin.

 

TLM : Est-ce à dire que le rôle du médecin ne sera plus d’ordre technique parce qu’un robot doté de son intelligence artificielle saura faire beaucoup mieux ?

Dr Eric Bouchard : Du point de vue étroitement technique, vous avez raison. Une machine nous donnera des informations et sera dotée d’une technicité bien supérieure à ce que nous sommes capables de faire. Cela dit, il y aura toujours face au médecin des êtres de chair et de sang animés de sentiments complexes et en proie à l’inquiétude et à l’angoisse. Et là le médecin est irremplaçable. Le patient, les professionnels de santé, la société tout entière ne sauraient se passer de cet humanisme et cette éthique inhérents aujourd’hui à l’exercice des professionnels de santé. Par ailleurs la machine ne peut rien faire de plus que proposer un certain nombre d’arbres décisionnels. Le choix et la décision en incombent au médecin qui, lui, va prendre chaque fois en considération la dimension éthique et individuelle. Il n’en reste pas moins que notre métier est en passe de complètement changer. L’interface intelligence artificielle/médecin est un phénomène tout à fait extraordinaire, et il nous arrive dessus. Il faut le prendre comme une véritable amélioration de nos pratiques, mais à condition d’être maîtrisé. On utilise de plus en plus ces nouveaux outils, il est donc capital d’en savoir les avantages et les limites. Et c’est pourquoi il est important que les professionnels de santé apprennent à les connaître de façon à ne pas laisser la machine décider et que le patient reste toujours au cœur de notre démarche.

 

TLM : Ne pensez-vous pas qu’il se pourrait qu’on en vienne à paramétrer jusqu’à la dimension éthique ?

Dr Eric Bouchard : Il y en aura toujours pour tenter de poser partout des normes. Le projet de normalisation généralisée hante notre société. Mais en matière de relations humaines je ne pense pas que l’on puisse instaurer des normes puisque chaque individu est différent, vit la maladie et sa relation sociale de façon singulière. Seul le professionnel de santé est capable d’adapter son discours et sa relation à chacun. Telle est notre conviction profonde : la machine ne pourra jamais remplacer le professionnel de santé, et une norme automatisée pas davantage.

 

TLM : Le sens et l’intuition diagnostiques appartiennent-ils au passé ?

Dr Eric Bouchard  : L’un de mes maîtres disait qu’il y avait l’intuition mais aussi la qualité de l’examen clinique. Je pense qu’à terme ce que l’on appelle l’intuition médicale sera reléguée au passé. D’autant qu’elle ne tombe pas toujours juste. L’examen clinique devra perdurer mais ne sera plus primordial comparativement à ce que les machines, l’intelligence artificielle, les objets connectés fourniront comme informations et analyses. A telle enseigne que j’estime que les cabinets médicaux, les maisons pluridisciplinaires et les services hospitaliers devraient compter dans leurs rangs un ingénieur en santé. Le professionnel de santé n’est pas totalement toujours bien formé aux différentes technologies, alors qu’elles progressent à une vitesse vertigineuse. Il faudrait qu’un professionnel soit spécialement formé de façon à pouvoir suivre l’évolution des machines, de la technologie et des puces connectées. Tout cela nécessite une compréhension des technologies qui n’est pas toujours à la portée du professionnel de santé. A terme l’ingénieur en santé sera nécessaire à la pratique médicale.

 

TLM : De quelle façon la robotique médicale va-t-elle impacter la profession médicale ?

Dr Eric Bouchard  : De façon générale, il faut s’attendre à une baisse des coûts de cette technologie qui reste encore aujourd’hui assez onéreuse. En effet, il y aura sans doute des transferts de technologie qui permettront de mettre à la disposition des professionnels de santé de petits robots venus du monde de la grande industrie. La robotique a déjà pénétré dans un certain nombre de professions médicales. Mais elle ne le fera que progressivement et certainement pas partout. Elle impactera à n’en pas douter l’activité des chirurgiens mais peu celle des psychiatres, par exemple.

 

TLM : Si l’exercice médical est appelé à se transformer, ne doit-il pas en être de même de la formation, initiale et continue ?

Dr Eric Bouchard  : Il est évident que la formation initiale doit absolument se réformer en conséquence. Aujourd’hui les technologies de e-santé ne sont pas étudiées en tant que telles, sinon dans un autre cadre, celui d’un module thérapeutique par exemple. On évoque la télétransmission, la télémédecine mais toujours selon une optique relativement restreinte. Le fait que les étudiants n’aient pas une vision globale de ce que va amener la e-santé les laisse avec un bagage insuffisant pour entrer dans le monde des 10 à 15 ans qui viennent. Concernant la formation continue, et en particulier le DPC, nous n’avons aucune orientation nationale de santé publique en e-santé. C’est dire que les pouvoirs publics et les diverses instances responsables, qui ont défini les orientations nationales en matière de santé publique, n’ont pas une vision suffisante et prédictive en e-santé. Si bien que l’ensemble des professionnels de santé qui se forment dans le cadre du DPC n’ont aucune orientation en e-santé alors que cette dernière arrive dans leur vie professionnelle. Tout cela est proprement invraisemblable.

 

TLM : Le troisième thème de ce Cybermed portera sur la réalité virtuelle…

Dr Eric Bouchard  : Nous entendons ce terme essentiellement dans le cadre de la formation. Il s’agit là certainement d’une méthode d’apprentissage parmi les plus intéressantes et qui est appelée à se développer dans les années à venir.

 

TLM : A quel public vous adressez-vous et qui sont les participants ?

Dr Eric Bouchard  : Cette manifestation est faite pour les professionnels de santé, mais bien entendu aussi pour les responsables politiques, les responsables des différentes institutions et Agences régionales de santé, Caisse nationale d’assurance maladie, etc. ainsi que pour les responsables d’établissements de santé. Ces derniers, par exemple, doivent prévoir les investissements nécessaires en termes d’équipements et de formation des personnels pour être à la hauteur des enjeux des 10 à 15 ans qui viennent. Nous travaillons également en collaboration constante avec les associations de patients : la e-santé n’aurait aucun intérêt si le patient ne restait pas au cœur de son système.

 

TLM : La fréquentation a-t-elle évolué ?

Dr Eric Bouchard  : Nous accueillons nombre de professionnels de santé libéraux, médecins dans 50 % des cas. L’évolution est nette. Les professionnels de santé ont bien compris, ne serait-ce qu’intuitivement sinon dans leur pratique, que la e-santé pénétrait leur cabinet et interférait dans leur relation avec les patients. Cybermed présente l’intérêt de permettre de travailler sur un certain nombre de sujets spécifiques qu’on n’aborde habituellement pas dans la formation initiale ou continue, et peu souvent dans les colloques, ou alors sans aller au fond. J’ajoute qu’en marge du forum nous avons organisé une manifestation, les Cyber Awards, qui permet à un certain nombre de start-up dans le domaine de la santé de venir présenter leurs produits, avec à la clef un prix pour la meilleure.

Propos recueillis par Bernard Maruani

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